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La jalousie formait la base de ce caractère plein d’excentricités, mot trouvé par les Anglais pour les folies non pas des petites mais des grandes maisons. Paysanne des Vosges, dans toute l’extension du mot, maigre, brune, les cheveux d’un noir luisant, les sourcils épais et réunis par un bouquet, les bras longs et forts, les pieds épais, quelques verrues dans sa face longue et simiesque, tel est le portrait concis de cette vierge.

La famille qui vivait en commun, avait immolé la fille vulgaire à la jolie fille, le fruit âpre, à la fleur éclatante. Lisbeth travaillait à la terre, quand sa cousine était dorelotée ; aussi lui arriva-t-il un jour, trouvant Adeline seule, de vouloir lui arracher le nez, un vrai nez grec que les vieilles femmes admiraient. Quoique battue pour ce méfait, elle n’en continua pas moins à déchirer les robes et à gâter les collerettes de la privilégiée.

Lors du mariage fantastique de sa cousine, Lisbeth avait plié devant cette destinée, comme les frères et les sœurs de Napoléon plièrent devant l’éclat du trône et la puissance du commandement. Adeline, excessivement bonne et douce, se souvint à Paris de Lisbeth, et l’y fit venir, vers 1809, dans l’intention de l’arracher à la misère en l’établissant. Dans l’impossibilité de marier aussitôt qu’Adeline le voulait, cette fille aux yeux noirs, aux sourcils charbonnés, et qui ne savait ni lire ni écrire, le baron commença par lui donner un état ; il mit Lisbeth en apprentissage chez les brodeurs de la cour impériale, les fameux Pons frères.

La cousine, nommée Bette par abréviation, devenue ouvrière en passementerie d’or et d’argent, énergique à la manière des montagnards, eut le courage d’apprendre à lire, à compter et à écrire ; car son cousin, le baron, lui avait démontré la nécessité de posséder ces connaissances pour tenir un établissement de broderie. Elle voulait faire fortune : en deux ans, elle se métamorphosa. En 1811, la paysanne fut une assez gentille, une assez adroite et intelligente première demoiselle.

Cette partie, appelée passementerie d’or et d’argent, comprenait les épaulettes, les dragonnes, les aiguillettes, enfin cette immense quantité de choses brillantes qui scintillaient sur les riches uniformes de l’armée française et sur les habits civils. L’Empereur, en Italien très ami du costume, avait brodé de l’or et de l’argent sur toutes les coutures de ses serviteurs, et son empire comprenait cent trente-trois départements. Ces fournitures assez habituelle-