Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/383

Cette page a été validée par deux contributeurs.

meuraient ces braves gens, rue Saint-Lazare, auprès de la rue du Rocher. Au-dessus des magasins et de l’atelier, maintenant bien fournis, et où grouillaient des apprentis et des ouvriers, tous Italiens de la vallée de Domodossola, la famille occupait un petit appartement où le travail avait apporté l’abondance. La baronne fut reçue comme si c’eût été la Sainte-Vierge apparue. Après un quart d’heure d’examen, forcée d’attendre le mari pour savoir comment allaient les affaires, Adeline s’acquitta de son saint espionnage en s’enquérant des malheureux que pouvait connaître la famille du fumiste.

— Ah ! ma bonne dame, vous qui sauveriez les damnés de l’enfer, dit l’Italienne, il y a bien près d’ici une jeune fille à retirer de la perdition.

— La connaissez-vous bien ? demanda la baronne.

— C’est la petite-fille d’un ancien patron de mon mari, venu en France dès la révolution, en 1798, nommé Judici. Le père Judici a été, sous l’empereur Napoléon, l’un des premiers fumistes de Paris ; il est mort en 1819, laissant une belle fortune à son fils. Mais le fils Judici a tout mangé avec de mauvaises femmes, et il a fini par en épouser une plus rusée que les autres, celle dont il a eu cette pauvre petite fille, qui sort d’avoir quinze ans.

— Que lui est-il arrivé ? dit la baronne vivement impressionnée par la ressemblance du caractère de ce Judici avec celui de son mari.

— Eh bien ! madame, cette petite, nommée Atala, a quitté père et mère pour venir vivre ici à côté, avec un vieil Allemand de quatre-vingts ans, au moins, nommé Vyder, qui fait toutes les affaires des gens qui ne savent ni lire ni écrire. Si au moins ce vieux libertin, qui, dit-on, aurait acheté la petite à sa mère pour quinze cents francs, épousait cette jeunesse, comme il a sans doute peu de temps à vivre, et qu’on le dit susceptible d’avoir quelques milliers de francs de rente, eh bien ! la pauvre enfant, qui est un petit ange, échapperait au mal, et surtout à la misère, qui la pervertira.

— Je vous remercie de m’avoir indiqué cette bonne action à faire, dit Adeline ; mais il faut agir avec prudence. Quel est ce vieillard ?

— Oh ! madame, c’est un brave homme, il rend la petite heureuse, et il ne manque pas de bon sens ; car, voyez-vous, il a