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vables. En ce moment, la Spéculation, qui tend à changer la face de ce coin de Paris et à bâtir l’espace en friche qui sépare la rue d’Amsterdam de la rue du Faubourg-du-Roule, en modifiera sans doute la population, car la truelle est, à Paris, plus civilisatrice qu’on ne le pense ! En bâtissant de belles et d’élégantes maisons à concierges, les bordant de trottoirs et y pratiquant des boutiques, la Spéculation écarte, par le prix du loyer, les gens sans aveu, les ménages sans mobilier et les mauvais locataires. Ainsi les quartiers se débarrassent de ces populations sinistres et de ces bouges où la police ne met le pied que quand la justice l’ordonne.

En juin 1844, l’aspect de la place Delaborde et de ses environs était encore peu rassurant. Le fantassin élégant qui, de la rue de la Pépinière, remontait par hasard dans ces rues épouvantables, s’étonnait de voir l’aristocratie coudoyée là par une infime Bohême. Dans ces quartiers, où végètent l’indigence ignorante et la misère aux abois, florissent les derniers écrivains publics qui se voient dans Paris. Là où vous voyez écrits ces deux mots : Écrivain public, en grosse coulée, sur un papier blanc affiché à la vitre de quelque entresol ou d’un fangeux rez-de-chaussée, vous pouvez hardiment penser que le quartier recèle beaucoup de gens ignares, et partant des malheurs, des vices et des criminels. L’ignorance est la mère de tous les crimes. Un crime est, avant tout, un manque de raisonnement.

Or, pendant la maladie de la baronne, ce quartier, pour lequel elle était une seconde Providence, avait acquis un écrivain public établi dans le passage du Soleil, dont le nom est une de ces antithèses familières aux Parisiens, car ce passage est doublement obscur. Cet écrivain, soupçonné d’être Allemand, se nommait Vyder, et vivait maritalement avec une jeune fille, de laquelle il était si jaloux, qu’il ne la laissait aller que chez d’honnêtes fumistes de la rue Saint-Lazare, Italiens, comme tous les fumistes, et à Paris depuis longues années. Ces fumistes avaient été sauvés d’une faillite inévitable, et qui les aurait réduits à la misère, par la baronne Hulot, agissant pour le compte de madame de La Chanterie. En quelques mois, l’aisance avait remplacé la misère, et la religion était entrée en des cœurs qui naguère maudissaient la Providence, avec l’énergie particulière aux Italiens fumistes. Une des premières visites de la baronne fut donc pour cette famille. Elle fut heureuse du spectacle qui s’offrit à ses regards, au fond de la maison où de-