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que la charité vous oblige à contempler ; mais vous vous y ferez à la longue, comme nous nous y faisons tous. C’est la loi sociale. Le confesseur, le magistrat, l’avoué seraient impossibles si l’esprit de l’état ne domptait pas le cœur de l’homme. Vivrait-on sans l’accomplissement de ce phénomène ? Le militaire, en temps de guerre, n’est-il pas également réservé à des spectacles encore plus cruels que ne le sont les nôtres ? et tous les militaires qui ont vu le feu sont bons. Nous, nous avons le plaisir d’une cure qui réussit, comme vous avez, vous, la jouissance de sauver une famille des horreurs de la faim, de la dépravation, de la misère, en la rendant au travail, à la vie sociale ; mais comment se consolent le magistrat, le commissaire de police et l’avoué qui passent leur vie à fouiller les plus scélérates combinaisons de l’intérêt, ce monstre social qui connaît le regret de ne pas avoir réussi, mais que le repentir ne visitera jamais ? La moitié de la société passe sa vie à observer l’autre. J’ai pour ami depuis bien long-temps un avoué, maintenant retiré, qui me disait que, depuis quinze ans, les notaires, les avoués se défient autant de leurs clients que des adversaires de leurs clients. Monsieur votre fils est avocat, n’a-t-il jamais été compromis par celui dont il entreprenait la défense ?

— Oh ! souvent ! dit en souriant Victorin.

— D’où vient ce mal profond ? demanda la baronne.

— Du manque de religion, répondit le médecin, et de l’envahissement de la finance, qui n’est autre chose que l’égoïsme solidifié. L’argent autrefois n’était pas tout, on admettait des supériorités qui le primaient. Il y avait la noblesse, le talent, les services rendus à l’État ; mais aujourd’hui la loi fait de l’argent un étalon général, elle l’a pris pour base de la capacité politique ! Certains magistrats ne sont pas éligibles, Jean-Jacques Rousseau ne serait pas éligible ! Les héritages perpétuellement divisés obligent chacun à penser à soi dès l’âge de vingt ans. Eh bien ! entre la nécessité de faire fortune et la dépravation des combinaisons, il n’y a pas d’obstacle, car le sentiment religieux manque en France, malgré les louables efforts de ceux qui tentent une restauration catholique. Voilà ce que se disent tous ceux qui contemplent, comme moi, la société dans ses entrailles.

— Vous avez peu de plaisirs, dit Hortense.

— Le vrai médecin, répondit Bianchon, se passionne pour la science. Il se soutient par ce sentiment autant que par la certitude