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— Madame, je vous témoignerai par avance la reconnaissance profonde que je vous garderai de l’honneur que vous m’avez fait, en ne montrant pas la cantatrice Josépha, la maîtresse du duc d’Hérouville, à côté de la plus belle, de la plus sainte image de la Vertu. Je vous respecte trop pour me faire voir auprès de vous. Ce n’est pas une humilité de comédienne, c’est un hommage que je vous rends. Vous me faites regretter, madame, de ne pas suivre votre sentier, malgré les épines qui vous ensanglantent les pieds et les mains ! Mais, que voulez-vous ! j’appartiens à l’Art comme vous appartenez à la Vertu…

— Pauvre fille ! dit la baronne émue au milieu de ses douleurs par un singulier sentiment de sympathie commisérative, je prierai Dieu pour vous, car vous êtes la victime de la Société, qui a besoin de spectacles. Quand la vieillesse viendra, faites pénitence… vous serez exaucée, si Dieu daigne entendre les prières d’une…

— D’une martyre, madame, dit Josépha qui baisa respectueusement la robe de la baronne.

Mais Adeline prit la main de la cantatrice, l’attira vers elle et la baisa au front. Rouge de plaisir, la cantatrice reconduisit Adeline jusqu’à sa voiture, avec les démonstrations les plus serviles.

— C’est quelque dame de charité, dit le valet de chambre à la femme de chambre, car elle n’est ainsi pour personne, pas même pour sa bonne amie, madame Jenny Cadine !

— Attendez quelques jours, dit-elle, madame, et vous le verrez, ou je renierai le dieu de mes pères ; et, pour une juive, voyez vous, c’est promettre la réussite.

Au moment où la baronne entrait chez Josépha, Victorin recevait dans son cabinet une vieille femme âgée de soixante-quinze ans environ, qui, pour parvenir jusqu’à l’avocat célèbre, mit en avant le nom terrible du chef de la police de sûreté. Le valet de chambre annonça : — Madame de Saint-Estève !

— J’ai pris un de mes noms de guerre, dit-elle en s’asseyant.

Victorin fut saisi d’un frisson intérieur, pour ainsi dire, à l’aspect de cette affreuse vieille. Quoique richement mise, elle épouvantait par les signes de méchanceté froide que présentait sa plate figure horriblement ridée, blanche et musculeuse. Marat, en femme et à cet âge, eût été, comme la Saint-Estève, une image vivante de la Terreur. Cette vieille sinistre offrait dans ses petits yeux clairs la cupidité sanguinaire des tigres. Son nez épaté, dont les narines