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terons, car il veut faire une comme on dite ; il a des idées qui peuvent le mener loin…

— En police correctionnelle ! reprit Lisbeth. C’est l’assassin de mon oncle ! je ne l’oublierai pas.

— Lui, saigner un poulet ! il ne le pourrait pas !… respectable demoiselle.

— Tenez ! voilà trois cents francs, dit Lisbeth en tirant quinze pièces d’or de sa bourse. Allez-vous-en, et ne revenez jamais ici…

Elle accompagna le père du garde-magasin des vivres d’Oran jusqu’à la porte, où elle désigna le vieillard ivre au concierge.

— Toutes les fois que cet homme-là viendra, si, par hasard il vient, vous ne laisserez pas entrer, et vous lui direz que je n’y suis pas. S’il cherchait à savoir si monsieur Hulot fils, si madame la baronne Hulot demeurent ici, vous lui répondriez que vous ne connaissez pas ces personnes-là…

— C’est bien, mademoiselle.

— Il y va de votre place, en cas d’une sottise, même involontaire, dit la vieille fille à l’oreille de la portière. — Mon cousin, dit-elle à l’avocat qui rentrait, vous êtes menacé d’un grand malheur.

— Lequel ?

— Votre femme aura, dans quelques jours d’ici, madame Marneffe pour belle-mère.

— C’est ce que nous verrons ! répondit Victorin.

Depuis six mois, Lisbeth payait exactement une petite pension à son protecteur, le baron Hulot, de qui elle était la protectrice ; elle connaissait le secret de sa demeure, et elle savourait les larmes d’Adeline à qui, lorsqu’elle la voyait gaie et pleine d’espoir, elle disait, comme on vient de le voir :  — Attendez-vous à lire quelque jour le nom de mon pauvre cousin à l’article Tribunaux. En ceci, comme précédemment, elle allait trop loin dans sa vengeance. Elle avait éveillé la prudence de Victorin. Victorin avait résolu d’en finir avec cette épée de Damoclès, incessamment montrée par Lisbeth, et avec le démon femelle à qui sa mère et la famille devaient tant de malheurs. Le prince de Wissembourg, qui connaissait la conduite de madame Marneffe, appuyait l’entreprise secrète de l’avocat, il lui avait promis, comme promet un président du conseil, l’intervention cachée de la police pour éclairer Crevel, et pour sauver toute une fortune des griffes de la diaboli-