Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/308

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tacle. Il te donnera cent francs par mois pour toi, et cinquante francs pour la dépense ! » Je connais Bijou, c’est moi-même à quatorze ans ! J’ai sauté de joie quand cet abominable Crevel m’a fait ces atroces propositions-là ! Eh bien ! vieux, tu seras emballé là pour trois ans. C’est sage, c’est honnête, et ça aura d’ailleurs des illusions pour trois ou quatre ans, pas plus.

Hulot n’hésitait pas, son parti de refuser était pris ; mais, pour remercier la bonne et excellente cantatrice qui faisait le bien à sa manière, il eut l’air de balancer entre le Vice et la Vertu.

— Ah çà ! tu restes froid comme un pavé en décembre ! reprit-elle étonnée. Voyons ! tu fais le bonheur d’une famille composée d’un grand-père qui trotte, d’une mère qui s’use à travailler, et de deux sœurs, dont une fort laide, qui gagnent à elles deux trente-deux sous en se tuant les yeux. Ça compense le malheur dont tu es la cause chez toi, tu rachètes tes fautes en t’amusant comme une lorette à Mabille.

Hulot, pour mettre un terme à cette séduction, fit le geste de compter de l’argent.

— Sois tranquille sur les voies et moyens, reprit Josépha. Mon duc te prêtera dix mille francs : sept mille pour un établissement de broderie au nom de Bijou, trois mille pour te meubler, et tous les trois mois, tu trouveras six cent cinquante francs ici sur un billet. Quand tu recouvreras ta pension, tu rendras au duc ces dix-sept mille francs-là. En attendant, tu seras heureux comme un coq en pâte, et perdu dans un trou à ne pas pouvoir être trouvé par la police ! Tu te mettras en grosse redingote de castorine, tu auras l’air d’être un propriétaire aisé du quartier. Nomme-toi Thoul, si c’est ta fantaisie. Moi, je te donne à Bijou comme un de mes oncles venu d’Allemagne en faillite, et tu seras chouchouté comme un dieu. Voilà, papa !… Qui sait ? Peut-être ne regretteras-tu rien ? Si par hasard tu t’ennuyais, garde une de tes belles pelures, tu viendras ici me demander à dîner et passer la soirée.

— Moi, qui voulais devenir vertueux, rangé !… Tiens, fais-moi prêter vingt mille francs, et je pars faire fortune en Amérique, à l’exemple de mon ami d’Aiglemont quand Nucingen l’a ruiné…

— Toi ! s’écria Josépha, laisse donc les mœurs aux épiciers, aux simples tourlouroux, aux citoyens frrrrançais, qui n’ont que la vertu pour se faire valoir ! Toi ! tu es né pour être autre chose qu’un jobard, tu es en homme ce que je suis en femme : un génie gouapeur !