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— Est-ce vrai, vieux, reprit-elle, que tu as tué ton frère et ton oncle, ruiné ta famille, surhypothéqué la maison de tes enfants et mangé la grenouille du gouvernement en Afrique avec la princesse ?

Le baron inclina tristement la tête.

— Eh bien ! j’aime cela ! s’écria Josépha, qui se leva pleine d’enthousiasme. C’est un brûlage général ! C’est sardanapale ! c’est grand ! c’est complet ! On est une canaille, mais on a du cœur. Eh bien ! moi, j’aime mieux un mange-tout, passionné comme toi pour les femmes, que ces froids banquiers sans âme qu’on dit vertueux et qui ruinent des milliers de familles avec leurs rails qui sont de l’or pour eux et du fer pour les Gogos ! Toi ! tu n’as ruiné que les tiens, tu n’as disposé que de toi ! et puis tu as une excuse, et physique et morale…

Elle se posa tragiquement et dit :

C’est Vénus tout entière à sa proie attachée.

— Et voilà ! ajouta-t-elle en pirouettant.

Hulot se trouvait absous par le Vice, le Vice lui souriait au milieu de son luxe effréné. La grandeur des crimes était là, comme pour les jurés, une circonstance atténuante.

— Est-elle jolie ta femme du monde, au moins ? demanda la cantatrice en essayant pour première aumône de distraire Hulot dont la douleur la navrait.

— Ma foi, presque autant que toi ! répondit finement le baron.

— Et… bien farce ? m’a-t-on dit. Que te faisait-elle donc ? Est-elle plus drôle que moi ?

— N’en parlons plus, dit Hulot.

— On dit qu’elle a enguirlandé mon Crevel, le petit Steinbock et un magnifique Brésilien.

— C’est bien possible…

— Elle est dans un hôtel aussi joli que celui-ci, donné par Crevel. Cette gueuse-là, c’est mon prévôt, elle achève les gens que j’ai entamés ! Voilà, vieux, pourquoi je suis si curieuse de savoir comment elle est, je l’ai entrevue en calèche au Bois, mais de loin… C’est, m’a dit Carabine, une voleuse finie ! Elle essaie de manger Crevel ! mais elle ne pourra que le grignoter. Crevel est un rat ! un rat bonhomme qui dit toujours oui, et qui n’en fait qu’à sa tête. Il est vaniteux, il est passionné, mais son argent est froid. On n’a rien de ces cadets-là que mille ou trois mille francs par mois, et ils s’arrêtent-