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la main. Je suis indigne de la vie de famille. Je n’ai pas osé bénir autrement que dans mon cœur mes pauvres enfants, dont la conduite a été sublime ; dis-leur que je n’ai pu que les embrasser ; car, d’un homme infâme, d’un père qui devient l’assassin, le fléau de la famille au lieu d’en être le protecteur et la gloire, une bénédiction pourrait être funeste ; mais je les bénirai de loin, tous les jours. Quant à toi, Dieu seul, car il est tout-puissant, peut te donner des récompenses proportionnées à tes mérites !… Je te demande pardon, dit-il en s’agenouillant devant sa femme, lui prenant les mains et les mouillant de larmes.

— Hector ! Hector ! tes fautes sont grandes ; mais la miséricorde divine est infinie, et tu peux tout réparer en restant avec moi… Relève-toi dans des sentiments chrétiens, mon ami… Je suis ta femme et non ton juge. Je suis ta chose, fais de moi tout ce que tu voudras, mène-moi où tu iras, je me sens la force de te consoler, de te rendre la vie supportable, à force d’amour, de soins et de respect !… Nos enfants sont établis, ils n’ont plus besoin de moi. Laisse-moi tâcher d’être ton amusement, ta distraction. Permets-moi de partager les peines de ton exil, de ta misère, pour les adoucir. Je te serai toujours bonne à quelque chose, ne fût-ce qu’à t’épargner la dépense d’une servante…

— Me pardonnes-tu, ma chère et bien-aimée Adeline ?

— Oui ; mais, mon ami, relève-toi !

— Eh bien ! avec ce pardon, je pourrai vivre ! reprit-il en se relevant. Je suis rentré dans notre chambre pour que nos enfants ne fussent pas témoins de l’abaissement de leur père. Ah ! voir tous les jours devant soi un père, criminel comme je le suis, il y a quelque chose d’épouvantable qui ravale le pouvoir paternel et qui dissout la famille. Je ne puis donc rester au milieu de vous, je vous quitte pour vous épargner l’odieux spectacle d’un père sans dignité. Ne t’oppose pas à ma fuite, Adeline. Ce serait armer toi-même le pistolet avec lequel je me ferais sauter la cervelle… Enfin ! ne me suis pas dans ma retraite, tu me priverais de la seule force qui me reste, celle du remords.

L’énergie d’Hector imposa silence à la mourante Adeline. Cette femme, si grande au milieu de tant de ruines, puisait son courage dans son intime union avec son mari ; car elle le voyait à elle, elle apercevait la mission sublime de le consoler, de le rendre à la vie de famille, et de le réconcilier avec lui-même.