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regarda le maréchal s’en allant par le salon. Je viens de dire un dernier adieu qui m’a fait bien du mal. Le maréchal Hulot n’a pas trois jours à vivre, je l’ai bien vu d’ailleurs, hier. Cet homme, une de ces probités divines, un soldat respecté par les boulets malgré sa bravoure… tenez… là, sur ce fauteuil !… a reçu le coup mortel, et de ma main, par un papier !… Sonnez et demandez ma voiture. Je vais à Neuilly, dit-il en serrant les deux cent mille francs dans son portefeuille ministériel.

Malgré les soins de Lisbeth, trois jours après, le maréchal Hulot était mort. De tels hommes sont l’honneur des partis qu’ils ont embrassés. Pour les républicains, le maréchal était l’idéal du patriotisme ; aussi se trouvèrent-ils tous à son convoi, qui fut suivi d’une foule immense. L’Armée, l’Administration, la Cour, le Peuple, tout le monde vint rendre hommage à cette haute vertu, à cette intacte probité, à cette gloire si pure. N’a pas, qui veut, le peuple à son convoi. Ces obsèques furent marquées par un de ces témoignages pleins de délicatesse, de bon goût et de cœur, qui, de loin en loin, rappellent les mérites et la gloire de la Noblesse française. Derrière le cercueil du maréchal on vit le vieux marquis de Montauran, le frère de celui qui, dans la levée de boucliers des Chouans en 1799, avait été l’adversaire et l’adversaire malheureux de Hulot. Le marquis, en mourant sous les balles des Bleus, avait confié les intérêts de son jeune frère au soldat de la République. (Voir les Chouans.) Hulot avait si bien accepté le testament verbal du noble, qu’il réussit à sauver les biens de ce jeune homme, alors émigré. Ainsi, l’hommage de la vieille noblesse française ne manqua pas au soldat qui, neuf ans auparavant, avait vaincu Madame.

Cette mort, arrivée quatre jours avant la dernière publication de son mariage, fut pour Lisbeth le coup de foudre qui brûle la moisson engrangée avec la grange. La Lorraine, comme il arrive souvent, avait trop réussi. Le maréchal était mort des coups portés à cette famille, par elle et par madame Marneffe. La haine de la vieille fille, qui semblait assouvie par le succès, s’accrut de toutes ses espérances trompées. Lisbeth alla pleurer de rage chez madame Marneffe ; car elle fut sans domicile, le maréchal ayant subordonné la durée de son bail à celle de sa vie. Crevel, pour consoler l’amie de sa Valérie, en prit les économies, les doubla largement, et plaça ce capital en cinq pour cent, en lui donnant l’usufruit et mettant