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des Jenny Cadine, pourquoi n’en rencontrerait-on pas un qui ferait la même bêtise légitimement ?… Si je n’avais pas ma Célestine et nos deux petits enfants, j’épouserais Hortense. Et de deux ! La dernière manière est la plus facile…

Madame Hulot leva la tête, et regarda l’ancien parfumeur avec anxiété.

— Paris est une ville où tous les gens d’énergie qui poussent comme des sauvageons sur le territoire français, se donnent rendez-vous, et il y grouille bien des talents, sans feu ni lieu, des courages capables de tout, même de faire fortune… Eh bien ! ces garçons-là… (Votre serviteur en était dans son temps, et il en a connu !… Qu’avait du Tillet ? Qu’avait Popinot, il y a vingt ans ?… ils pataugeaient tous les deux dans la boutique du papa Birotteau, sans autre capital que l’envie de parvenir, qui, selon moi, vaut le plus beau capital !… On mange des capitaux, et l’on ne se mange pas le moral !… Qu’avais-je, moi ? l’envie de parvenir, du courage. Du Tillet est l’égal aujourd’hui des plus grands personnages. Le petit Popinot, le plus riche droguiste de la rue des Lombards, est devenu député, le voilà ministre…) Eh bien ! l’un de ces condottierri, comme on dit, de la commandite, de la plume ou de la brosse, est le seul être, à Paris, capable d’épouser une belle fille sans le sou, car ils ont tous les genres de courage. Monsieur Popinot a épousé mademoiselle Birotteau sans espérer un liard de dot. Ces gens-là sont fous ! ils croient à l’amour, comme ils croient à leur fortune et à leurs facultés !… Cherchez un homme d’énergie qui devienne amoureux de votre fille et il l’épousera sans regarder au présent. Vous m’avouerez que, pour un ennemi, je ne manque pas de générosité, car ce conseil est contre moi.

— Ah ! monsieur Crevel, si vous vouliez être mon ami, quitter vos idées ridicules !…

— Ridicules ? madame, ne vous démolissez pas ainsi, regardez-vous… Je vous aime et vous viendrez à moi ! Je veux dire un jour à Hulot : « Tu m’as pris Josépha, j’ai ta femme !… » C’est la vieille loi du talion ! Et je poursuivrai l’accomplissement de mon projet, à moins que vous ne deveniez excessivement laide. Je réussirai, voici pourquoi, dit-il en se mettant en position et regardant madame Hulot.

— Vous ne rencontrerez ni un vieillard, ni un jeune homme amoureux, reprit-il après une pause, parce que vous aimez trop