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ai raccolé pour leur compte ; mais vous viendrez une autre fois pour le mien, n’est-ce pas ?… dites : oui !…

Et elle se promena pendant quelques instants avec Stidmann, en paraissant uniquement occupée de lui. On annonça successivement Crevel, le baron Hulot, et un député nommé Beauvisage. Ce personnage, un Crevel de province, un de ces gens mis au monde pour faire foule, votait sous la bannière de Giraud, Conseiller-d’État, et de Victorin Hulot. Ces deux hommes politiques voulaient faire un noyau de Progressistes dans la grande phalange des Conservateurs. Giraud venait quelquefois le soir chez madame Marneffe, qui se flattait d’avoir aussi Victorin Hulot ; mais l’avocat puritain avait jusqu’alors trouvé des prétextes pour résister à son père et à son beau-père. Se montrer chez la femme qui faisait couler les larmes de sa mère, lui paraissait un crime. Victorin Hulot était aux puritains de la politique ce qu’une femme pieuse est aux dévotes. Beauvisage, ancien bonnetier d’Arcis, voulait prendre le genre de Paris. Cet homme, une des bornes de la Chambre, se formait chez la délicieuse, la ravissante madame Marneffe, où, séduit par Crevel, il l’avait accepté de Valérie pour modèle et pour maître ; il le consultait en tout, il lui demandait l’adresse de son tailleur, il l’imitait, il essayait de se mettre en position comme lui ; enfin Crevel était son grand homme. Valérie, entourée de ces personnages et des trois artistes, bien accompagnée par Lisbeth, apparut d’autant plus à Wenceslas comme une femme supérieure, que Claude Vignon lui fit l’éloge de madame Marneffe en homme épris.

— C’est madame de Maintenon dans la jupe de Ninon ! dit l’ancien critique. Lui plaire, c’est l’affaire d’une soirée où l’on a de l’esprit ; mais être aimé d’elle, c’est un triomphe qui peut suffire à l’orgueil d’un homme, et en remplir la vie.

Valérie, en apparence froide et insouciante pour son ancien voisin, en attaqua la vanité, sans le savoir d’ailleurs, car elle ignorait le caractère polonais. Il y a chez le Slave un côté enfant, comme chez tous les peuples primitivement sauvages, et qui ont plutôt fait irruption chez les nations civilisées qu’ils ne se sont réellement civilisés. Cette race s’est répandue comme une inondation, et a couvert une immense surface du globe. Elle y habite des déserts où les espaces sont si vastes, qu’elle s’y trouve à l’aise ; on ne s’y coudoie pas, comme en Europe, et la civilisation est impossible sans le frottement continuel des esprits et des intérêts.