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— On voit bien que tu ne l’aimes pas, dit mélancoliquement le baron.

— Moi, j’en ai assez, répliqua Crevel, car elle a plus de trois cent mille francs à moi !…

— Où est-ce ? où tout cela passe-t-il ? dit le baron en se prenant la tête dans les mains.

— Si nous nous étions entendus, comme ces petits jeunes gens qui se cotisent pour entretenir une lorette de deux sous, elle nous aurait coûté moins cher…

— C’est une idée ! repartit le baron ; mais elle nous tromperait toujours, car, mon gros père, que penses-tu de ce Brésilien ?…

— Ah ! vieux lapin, tu as raison, nous sommes joués comme des… des actionnaires !… dit Crevel. Toutes ces femmes-là sont des commandites !

— C’est donc elle, dit le baron, qui t’a parlé de la lumière sur la fenêtre ?…

— Mon bonhomme, reprit Crevel en se mettant en position, nous sommes floués ! Valérie est une… Elle m’a dit de te tenir ici… J’y vois clair… Elle a son Brésilien… Ah ! je renonce à elle, car si vous lui teniez les mains, elle trouverait moyen de vous tromper avec ses pieds ! Tiens, c’est une infâme, une rouée !

— Elle est au-dessous des prostituées, dit le baron. Josépha, Jenny Cadine étaient dans leur droit en nous trompant, elles font métier de leurs charmes, elles !

— Mais elle ! qui fait la sainte, la prude, dit Crevel. Tiens, Hulot, retourne à ta femme, car tu n’es pas bien dans tes affaires, on commence à causer de certaines lettres de change souscrites à un petit usurier dont la spécialité consiste à prêter aux lorettes, un certain Vauvinet. Quant à moi, me voilà guéri des femmes comme il faut. D’ailleurs, à nos âges, quel besoin avons-nous de ces drôlesses, qui, je suis franc, ne peuvent pas ne point nous tromper ? Tu as des cheveux blancs, des fausses dents, baron. Moi, j’ai l’air de Silène. Je vais me mettre à amasser. L’argent ne trompe point. Si le Trésor s’ouvre tous les six mois pour tout le monde, il vous donne au moins des intérêts, et cette femme en coûte… Avec toi, mon cher confrère, Gubetta, mon vieux complice, je pourrais accepter une situation chocnoso… non, philosophique ; mais un Brésilien qui, peut-être, apporte de son pays des denrées coloniales, suspectes…