Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/18

Cette page a été validée par deux contributeurs.

bras étaient terminés par des têtes de sphinx bronzées dont la peinture s’en allait par écailles en laissant voir le bois par places, lui fit signe de s’asseoir.

— Ces précautions que vous prenez, madame, seraient d’un charmant augure pour un…

— Un amant, répliqua-t-elle en interrompant le garde national.

— Le mot est faible, dit-il en plaçant sa main droite sur son cœur et roulant des yeux qui font presque toujours rire une femme quand elle leur voit froidement une pareille expression, amant ! amant ! dites ensorcelé ?

— Écoutez, monsieur Crevel, reprit la baronne trop sérieuse pour pouvoir rire, vous avez cinquante ans, c’est dix ans de moins que monsieur Hulot, je le sais ; mais, à mon âge, les folies d’une femme doivent être justifiées par la beauté, par la jeunesse, par la célébrité, par le mérite, par quelques-unes des splendeurs qui nous éblouissent au point de nous faire tout oublier, même notre âge. Si vous avez cinquante mille livres de rentes, votre âge contrebalance bien votre fortune ; ainsi de tout ce qu’une femme exige, vous ne possédez rien…

— Et l’amour ? dit le garde national en se levant et s’avançant, un amour qui…

— Non, monsieur, de l’entêtement ! dit la baronne en l’interrompant pour en finir avec cette ridiculité.

— Oui, de l’entêtement et de l’amour, reprit-il, mais aussi quelque chose de mieux, des droits…

— Des droits ? s’écria madame Hulot qui devint sublime de mépris, de défi, d’indignation. Mais, reprit-elle, sur ce ton, nous ne finirons jamais, et je ne vous ai pas demandé de venir ici pour causer de ce qui vous en a fait bannir malgré l’alliance de nos deux familles…

— Je l’ai cru…

— Encore ! reprit-elle. Ne voyez-vous pas, monsieur, à la manière leste et dégagée dont je parle d’amant, d’amour, de tout ce qu’il y a de plus scabreux pour une femme, que je suis parfaitement sûre de rester vertueuse ? Je ne crains rien, pas même d’être soupçonnée en m’enfermant avec vous. Est-ce là la conduite d’une femme faible ? Vous savez bien pourquoi je vous ai prié de venir !…

— Non, madame, répliqua Crevel en prenant un air froid.

Il se pinça les lèvres et se remit en position.