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par mois, vous seriez forcé d’en donner trois ou quatre mille.

— Je sais tout cela, répondit le baron impatienté ; vous nous protégez de bien des manières, ajouta-t-il en revenant auprès de madame Marneffe et la prenant par le cou, n’est-ce pas, ma chère petite belle ?…

— Ma parole, dit Valérie, je vous crois fou !…

— Eh bien ! vous ne doutez pas de mon attachement, reprit Lisbeth ; mais j’aime aussi ma cousine Adeline, et je l’ai trouvée en larmes. Elle ne vous a pas vu depuis un mois. Non, cela n’est pas permis. Vous laissez ma pauvre Adeline sans argent. Votre fille Hortense a failli mourir en apprenant que c’est grâce à votre frère que nous avons pu dîner ! Il n’y avait pas de pain chez vous aujourd’hui. Adeline a pris la résolution héroïque de se suffire à elle-même. Elle m’a dit : « Je ferai comme toi ! » Ce mot m’a si fort serré le cœur, après le dîner, qu’en pensant à ce que ma cousine était en 1811 et ce qu’elle est en 1841, trente ans après ! j’ai eu ma digestion arrêtée… j’ai voulu vaincre le mal ; mais, arrivée ici, j’ai cru mourir…

— Vous voyez, Valérie, dit le baron, jusqu’où me mène mon adoration pour vous !… à commettre des crimes domestiques…

— Oh ! j’ai eu raison de rester fille ! s’écria Lisbeth avec une joie sauvage. Vous êtes un bon et excellent homme, Adeline est un ange, et voilà la récompense d’un dévouement aveugle.

— Un vieil ange ! dit doucement madame Marneffe en jetant un regard moitié tendre, moitié rieur à son Hector, qui la contemplait comme un juge d’instruction examine un prévenu.

— Pauvre femme ! dit le baron. Voilà plus de neuf mois que je ne lui ai remis d’argent, et j’en trouve pour vous, Valérie, et à quel prix ! Vous ne serez jamais aimée ainsi par personne, et quels chagrins vous me donnez en retour !

— Des chagrins ? reprit-elle. Qu’appelez-vous donc le bonheur ?

— Je ne sais pas encore quelles ont été vos relations avec ce prétendu cousin, de qui vous ne m’avez jamais parlé, reprit le baron sans faire attention aux mots jetés par Valérie. Mais, quand il est entré, j’ai reçu comme un coup de canif dans le cœur. Quelque aveuglé que je sois, je ne suis pas aveugle. J’ai lu dans vos yeux et dans les siens. Enfin, il s’échappait par les paupières de ce singe des étincelles qui rejaillissaient sur vous, dont le regard… Oh ! vous ne m’avez jamais regardé ainsi, jamais ! Quant à ce mystère, Valé-