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et fit quelque bien dans le quartier, le tout aux dépens d’Hector. Tout chez elle se passait donc convenablement. Aussi, beaucoup de gens affirmaient-ils la pureté de ses relations avec le baron, en objectant l’âge du Conseiller d’État, à qui l’on prêtait un goût platonique pour la gentillesse d’esprit, le charme des manières, la conversation de madame Marneffe, à peu près pareil à celui de feu Louis XVIII pour les billets bien tournés.

Le baron se retirait vers minuit avec tout le monde, et rentrait un quart d’heure après. Le secret de ce secret profond, le voici :

Les portiers de la maison étaient monsieur et madame Olivier, qui, par la protection du baron, ami du propriétaire en quête d’un concierge, avaient passé de leur loge obscure et peu lucrative de la rue du Doyenné dans la productive et magnifique loge de la rue Vanneau. Or, madame Olivier, ancienne lingère de la maison de Charles X, et tombée de cette position avec la monarchie légitime, avait trois enfants. L’aîné, déjà petit-clerc de notaire, était l’objet de l’adoration des époux Olivier. Ce Benjamin, menacé d’être soldat pendant six ans, allait voir sa brillante carrière interrompue, lorsque madame Marneffe le fit exempter du service militaire pour un de ces vices de conformation que les conseils de révision savent découvrir quand ils en sont priés à l’oreille par quelque puissance ministérielle. Olivier, ancien piqueur de Charles X, et son épouse, auraient donc remis Jésus en croix pour le baron Hulot, et pour madame Marneffe.

Que pouvait dire le monde à qui l’antécédent du Brésilien, monsieur Montès de Montejanos, était inconnu ? Rien. Le monde est d’ailleurs plein d’indulgence pour la maîtresse d’un salon où l’on s’amuse. Madame Marneffe ajoutait enfin, à tous ses agréments, l’avantage bien prisé d’être une puissance occulte. Ainsi Claude Vignon, devenu secrétaire du maréchal prince de Wissembourg, et qui rêvait d’appartenir au Conseil d’État en qualité de maître des requêtes, était un habitué de ce salon, où vinrent quelques députés bons enfants et joueurs. La société de madame Marneffe s’était composée avec une sage lenteur ; les agrégations ne s’y formaient qu’entre gens d’opinions et de mœurs conformes, intéressés à se soutenir, à proclamer les mérites infinis de la maîtresse de la maison. Le compérage, retenez cet axiome, est la vraie Sainte-Alliance à Paris. Les intérêts finissent toujours par se diviser, les gens vicieux s’entendent toujours.