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Quand l’homme de la Banque fut hors de vue, Fischer fit retourner le cabriolet où attendait son auguste neveu, le bras droit de Napoléon, et lui dit en le ramenant chez lui :  — Voulez-vous que l’on sache à la Banque de France que vous m’avez versé les trente mille francs dont vous êtes endosseur ?… C’est déjà beaucoup trop d’y avoir mis la signature d’un homme comme vous !…

— Allons au fond de votre jardinet, père Fischer, dit le haut fonctionnaire. Vous êtes solide, reprit-il en s’asseyant sous un berceau de vigne et toisant le vieillard comme un marchand de chair humaine toise un remplaçant.

— Solide à placer en viager, répondit gaiement le petit vieillard sec, maigre, nerveux et l’œil vif.

— La chaleur vous fait-elle mal ?…

— Au contraire.

— Que dites-vous de l’Afrique ?

— Un joli pays !… Les Français y sont allés avec le petit caporal.

— Il s’agit, pour nous sauver tous, dit le baron, d’aller en Algérie…

— Et mes affaires ?…

— Un employé de la guerre, qui prend sa retraite et qui n’a pas de quoi vivre, vous achète votre maison de commerce.

— Que faire en Algérie ?

— Fournir les vivres de la guerre, grains et fourrages, j’ai votre commission signée. Vous trouverez vos fournitures dans le pays à soixante-dix pour cent au-dessous des prix auxquels nous vous en tiendrons compte.

— Qui me les livrera ?…

— Les razzias, l’achour, les khalifas. Il y a dans l’Algérie (pays encore peu connu, quoique nous y soyons depuis huit ans) énormément de grains et de fourrages. Or, quand ces denrées appartiennent aux Arabes, nous les leur prenons sous une foule de prétextes ; puis, quand elles sont à nous, les Arabes s’efforcent de les reprendre. On combat beaucoup pour le grain ; mais on ne sait jamais au juste les quantités qu’on a volées de part et d’autre. On n’a pas le temps, en rase campagne, de compter les blés par hectolitre comme à la Halle et les foins comme à la rue d’Enfer. Les chefs arabes, aussi bien que nos spahis, préférant l’argent, vendent alors ces denrées à de très-bas prix. L’administration de la guerre,