Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/77

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

(excusez ma franchise), pourquoi n’avoir pas employé les vastes ressources de votre politique à donner aux Réformés les sages institutions qui rendirent le règne de Henri IV si glorieux et si paisible ? Elle sourit encore, haussa les épaules, et ses rides creuses donnèrent à son pâle visage une expression d’ironie pleine d’amertume. — Les peuples, dit-elle, ont besoin de repos après les luttes les plus acharnées : voilà le secret de ce règne. Mais Henri IV a commis deux fautes irréparables : il ne devait ni abjurer le protestantisme, ni laisser la France catholique après l’être devenu lui-même. Lui seul s’est trouvé en position de changer sans secousse la face de la France. Ou pas une étole, ou pas un prêche ! telle aurait dû être sa pensée. Laisser dans un gouvernement deux principes ennemis sans que rien les balance, voilà un crime de roi, il sème ainsi des révolutions. À Dieu seul il appartient de mettre dans son œuvre le bien et le mal sans cesse en présence. Mais peut-être cette sentence était-elle inscrite au fond de la politique de Henri IV, et peut-être causa-t-elle sa mort. Il est impossible que Sully n’ait pas jeté un regard de convoitise sur ces immenses biens du clergé, que le clergé ne possédait pas entièrement, car la noblesse gaspillait au moins les deux tiers de leurs revenus. Sully le Réformé n’en avait pas moins des abbayes. Elle s’arrêta et parut réfléchir. — Mais, reprit-elle, songez-vous que c’est à la nièce d’un pape que vous demandez raison de son catholicisme ? Elle s’arrêta encore. — Après tout, j’eusse été Calviniste de bon cœur, ajouta-t-elle en laissant échapper un geste d’insouciance. Les hommes supérieurs de votre siècle penseraient-ils encore que la religion était pour quelque chose dans ce procès, le plus immense de ceux que l’Europe ait jugés, vaste révolution retardée par de petites causes qui ne l’empêcheront pas de rouler sur le monde, puisque je ne l’ai pas étouffée. Révolution, dit-elle en me jetant un regard profond, qui marche toujours et que tu pourras achever. Oui, toi, qui m’écoutes ! Je frissonnai. — Quoi ! personne encore n’a compris que les intérêts anciens et les intérêts nouveaux avaient saisi Rome et Luther comme des drapeaux ! Quoi ! pour éviter une lutte à peu près semblable, Louis IX, en entraînant une population centuple de celle que j’ai condamnée, et la laissant aux sables de l’Égypte, a mérité le nom de saint, et moi ? — Mais moi, dit-elle, j’ai échoué. Elle pencha la tête et resta silencieuse un moment. Ce n’était plus une reine que je voyais, mais bien plutôt une de ces antiques druidesses