Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/74

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

m’ôta toute présence d’esprit. J’écoutai sans oser questionner. En échappant vers minuit aux pièges de cette sorcellerie, je doutais presque de moi-même. Mais tout ce merveilleux me sembla naturel en comparaison de la singulière hallucination que je devais subir encore. Je ne sais par quelles paroles je pourrais vous peindre l’état de mes sens. Seulement je déclare, dans la sincérité de mon cœur, que je ne m’étonne plus qu’il se soit rencontré jadis des âmes assez faibles ou assez fortes pour croire aux mystères de la magie et au pouvoir du démon. Pour moi, jusqu’à plus ample informé, je regarde comme possibles les apparitions dont ont parlé Cardan et quelques thaumaturges.

Ces paroles, prononcées avec une incroyable éloquence de ton, étaient de nature à éveiller une excessive curiosité chez tous les convives. Aussi nos regards se tournèrent-ils sur l’orateur, et restâmes-nous immobiles. Nos yeux seuls trahissaient la vie en réfléchissant les bougies scintillâmes des flambeaux. À force de contempler l’inconnu, il nous sembla voir les pores de son visage, et surtout ceux de son front, livrer passage au sentiment intérieur dont il était pénétré. Cet homme, en apparence froid et compassé, semblait contenir en lui-même un foyer secret dont la flamme agissait sur nous.

— Je ne sais, reprit-il, si la figure évoquée me suivit en se rendant invisible ; mais aussitôt que ma tête reposa sur mon lit, je vis la grande ombre de Catherine se lever devant moi. Je me sentis, instinctivement, dans une sphère lumineuse, car mes yeux attachés sur la reine par une insupportable fixité ne virent qu’elle. Tout à coup elle se pencha vers moi…

À ces mots, les dames laissèrent échapper un mouvement unanime de curiosité.

— Mais, reprit l’avocat, j’ignore si je dois continuer ; bien que je sois porté à croire que ce ne soit qu’un rêve, ce qui me reste à dire est grave.

— S’agit-il de religion ? dit Beaumarchais.

— Ou y aurait-il quelque indécence ? demanda Calonne, ces dames vous la pardonneraient.

— Il s’agit de gouvernement, répondit l’avocat.

— Allez, reprit le ministre. Voltaire, Diderot et consorts ont assez bien commencé l’éducation de nos oreilles.

Le contrôleur devint fort attentif, et sa voisine, madame de