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— Oui, sire.

Cette réponse partit avant que Cosme n’eût tiré la pelisse de son frère pour lui imposer silence.

— Vous savez pourquoi revient mon frère le roi de Pologne ?

— Oui, sire.

— Pourquoi ?

— Pour prendre votre place.

— Nos plus cruels ennemis sont nos proches, s’écria le roi qui se leva furieux et parcourut la salle à grands pas. Les rois n’ont ni frères, ni fils, ni mère. Coligny avait raison : mes bourreaux ne sont pas dans les prêches, ils sont au Louvre. Vous êtes des imposteurs ou des régicides ! Jacob, appelez Solern.

— Sire, dit Marie Touchet, les Ruggieri ont votre parole de gentilhomme. Vous avez voulu goûter à l’arbre de la science, ne vous plaignez pas de son amertume ?

Le roi sourit en exprimant un amer dédain ; il trouvait sa royauté matérielle petite devant l’immense royauté intellectuelle du vieux Laurent Ruggieri. Charles IX pouvait a peine gouverner la France ; le Grand-maître des Rose-Croix commandait à un monde intelligent et soumis.

— Soyez franc, je vous engage ma parole de gentilhomme que votre réponse, dans le cas où elle serait l’aveu d’effroyables crimes, sera comme si elle n’eût jamais été dite, reprit le roi. Vous occupez-vous des poisons ?

— Pour connaître ce qui fait vivre, il faut bien savoir ce qui fait mourir.

— Vous possédez le secret de plusieurs poisons.

— Oui, sire : mais par la théorie et non par la pratique, nous les connaissons sans en user.

— Ma mère en a-t-elle demandé ? dit le roi qui haletait.

— Sire, répondit Laurent, la reine Catherine est trop habile pour employer de semblables moyens. Elle sait que le souverain qui se sert de poison périt par le poison, les Borgia ; de même que Bianca, la grande-duchesse de Toscane, offrent un célèbre exemple des dangers que présentent ces misérables ressources. Tout se sait à la cour. Vous pouvez tuer un pauvre diable, et alors à quoi bon l’empoisonner ? Mais s’attaquer aux gens en vue ; y a-t-il une seule chance de secret ? Qui tira sur Coligny, ce ne pouvait être que vous, ou la reine, ou les Guise. Personne ne s’y est trompé.