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aux excès que notre imagination sollicite parfois en amour. C’est donc le dernier de nos besoins, et le seul dont l’oubli ne produise aucune perturbation dans l’économie du corps ! L’amour est un luxe social comme les dentelles et les diamants. Maintenant, en l’examinant comme sentiment, nous pouvons y trouver des distinctions, le plaisir et la passion. Analysez le plaisir. Les affections humaines reposent sur deux principes : l’attraction et l’aversion. L’attraction est ce sentiment général pour les choses qui flattent notre instinct de conservation ; l’aversion est l’exercice de ce même instinct quand il nous avertit qu’une chose peut lui porter préjudice. Tout ce qui agite puissamment notre organisme nous donne une conscience intime de notre existence : voilà le plaisir. Il se constitue du désir, de la difficulté et de la jouissance d’avoir n’importe quoi. Le plaisir est un élément unique, et nos passions n’en sont que des modifications plus ou moins vives ; aussi, presque toujours, l’habitude d’un plaisir exclut-il les autres. Or l’amour est le moins vif de nos plaisirs et le moins durable. Où placez-vous le plaisir de l’amour ?… Sera-ce la possession d’un beau corps ?… Avec de l’argent vous pouvez acquérir dans une soirée des odalisques admirables ; mais au bout d’un mois vous aurez blasé peut-être à jamais le sentiment en vous. Serait-ce par hasard autre chose ?… Aimeriez-vous une femme, parce qu’elle est bien mise, élégante, qu’elle est riche, qu’elle a voiture, qu’elle a du crédit ?… Ne nommez pas cela de l’amour, car c’est de la vanité, de l’avarice, de l’égoïsme. L’aimez-vous parce qu’elle est spirituelle ?… vous obéissez peut-être alors à un sentiment littéraire.

— Mais, lui dis-je, l’amour ne révèle ses plaisirs qu’à ceux qui confondent leurs pensées, leurs fortunes, leurs sentiments, leurs âmes, leurs vies…

— Oh !… oh !… oh !… s’écria le vieillard d’un ton goguenard, trouvez-moi sept hommes par nation qui aient sacrifié à une femme non pas leurs vies… car cela n’est pas grand’chose : le tarif de la vie humaine n’a pas, sous Napoléon, monté plus haut qu’à vingt mille francs ; et il y a en France en ce moment deux cent cinquante mille braves qui donnent la leur pour un ruban rouge de deux pouces ; mais sept hommes qui aient sacrifié à une femme dix millions sur lesquels ils auraient dormi solitairement pendant une seule nuit… Dubreuil et Phméja sont encore moins rares que l’amour de mademoiselle Dupuis et de Bolingbroke. Alors, ces sentiments-