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— Oui, c’est le frère de monsieur Achille qui le lui a envoyé…

Vous apercevez monsieur Achille dans un coin. Le célibataire vous salue, il paraît heureux de vous voir accepter le pâté. Vous regardez votre femme qui rougit ; vous vous passez la main sur la barbe en vous caressant à plusieurs reprises le menton ; et, comme vous ne remerciez pas, les deux amants devinent que vous agréez la compensation.

Le Ministère a changé tout à coup. Un mari, conseiller d’État, tremble d’être rayé du tableau, quand, la veille, il espérait une direction générale ; tous les ministres lui sont hostiles, et alors il devient constitutionnel. Prévoyant sa disgrâce, il s’est rendu à Auteuil chercher une consolation auprès d’un vieil ami, qui lui a parlé d’Horace et de Tibulle. En rentrant chez lui il aperçoit la table mise comme pour recevoir les hommes les plus influents de la congrégation. — En vérité, madame la comtesse, dit-il avec humeur en entrant dans sa chambre, où elle est à achever sa toilette, je ne reconnais pas aujourd’hui votre tact habituel ?… Vous prenez bien votre temps pour donner des dîners… Vingt personnes vont savoir… — Et vont savoir que vous êtes directeur général ! s’écrie-t-elle en lui montrant une cédule royale… Il reste ébahi. Il prend la lettre, la tourne, la retourne, la décachette. Il s’assied, la déploie… — Je savais bien, dit-il, que sous tous les ministères possibles on rendrait justice… — Oui, mon cher ! Mais monsieur de Villeplaine a répondu de vous, corps pour corps, à son Éminence le cardinal de… dont il est le… — Monsieur de Villeplaine ?… Il y a là une compensation si opulente que le mari ajoute avec un sourire de directeur général : — Peste ! ma chère ; mais c’est affaire à vous !… — Ah ! ne m’en sachez aucun gré !… Adolphe l’a fait d’instinct et par attachement pour vous !…

Certain soir, un pauvre mari, retenu au logis par une pluie battante, ou lassé peut-être d’aller passer ses soirées au jeu, au café, dans le monde, ennuyé de tout, se voit contraint après le dîner de suivre sa femme dans la chambre conjugale. Il se plonge dans une bergère et attend sultanesquement son café ; il semble se dire : — Après tout, c’est ma femme !… La syrène apprête elle-même la boisson favorite, elle met un soin particulier à la distiller, la sucre, y goûte, la lui présente ; et, en souriant, elle hasarde, odalisque soumise, une plaisanterie, afin de dérider le front de son maître et seigneur. Jusqu’alors, il avait cru que sa femme était