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s pour le tort qu’il vous fait ; mais il est arrêté par cette fierté dédaigneuse, dont l’expression se mêle à tous vos discours, et qui s’empreint dans tous vos gestes.

En effet, dans les premiers moments où le minotaure arrive, un homme ressemble à un acteur embarrassé sur un théâtre où il n’a pas l’habitude de se montrer. Il est très-difficile de savoir porter sa sottise avec dignité ; mais cependant les caractères généreux ne sont pas encore tellement rares qu’on ne puisse en trouver un pour mari modèle.

Alors, insensiblement vous êtes gagné par la grâce des procédés dont vous accable votre femme. Madame prend avec vous un ton d’amitié qui ne l’abandonnera plus désormais. La douceur de votre intérieur est une des premières compensations qui rendent à un mari le minotaure moins odieux. Mais, comme il est dans la nature de l’homme de s’habituer aux plus dures conditions, malgré ce sentiment de noblesse que rien ne saurait altérer, vous êtes amené, par une fascination dont la puissance vous enveloppe sans cesse, à ne pas vous refuser aux petites douceurs de votre position.

Supposons que le malheur conjugal soit tombé sur un gastrolâtre ! Il demande naturellement des consolations à son goût. Son plaisir, réfugié en d’autres qualités sensibles de son être, prend d’autres habitudes. Vous vous façonnez à d’autres sensations.

Un jour, en revenant du ministère, après être long-temps demeuré devant la riche et savoureuse bibliothèque de Chevet, balançant entre une somme de cent francs à débourser et les jouissances promises par un pâté de foies gras de Strasbourg, vous êtes stupéfait de trouver le pâté insolemment installé sur le buffet de votre salle à manger. Est-ce en vertu d’une espèce de mirage gastronomique ?… Dans cette incertitude, vous marchez à lui (un pâté est une créature animée) d’un pas ferme, vous semblez hennir en subodorant les truffes dont le parfum traverse les savantes cloisons dorées ; vous vous penchez à deux reprises différentes ; toutes les houppes nerveuses de votre palais ont une âme ; vous savourez les plaisirs d’une véritable fête ; et, dans cette extase, un remords vous poursuivant, vous arrivez chez votre femme.

— En vérité, ma bonne amie, nous n’avons pas une fortune à nous permettre d’acheter des pâtés…

— Mais il ne nous coûte rien !

— Oh ! oh !