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à l’user, frappant incessamment, sans s’inquiéter des forces de l’instrument, pourvu qu’elles réussissent. Si elles vous tuent, elles vous pleureront de la meilleure grâce du monde, comme le plus vertueux, le plus excellent et le plus sensible des êtres.

Ainsi, votre femme s’armera d’abord de ce sentiment généreux qui nous porte à respecter les êtres souffrants. L’homme le plus disposé à quereller une femme pleine de vie et de santé est sans énergie devant une femme infirme et débile. Si la vôtre n’a pas atteint le but de ses desseins secrets par les divers systèmes d’attaque déjà décrits, elle saisira bien vite cette arme toute-puissante.

En vertu de ce principe d’une stratégie nouvelle, vous verrez la jeune fille si forte de vie et de beauté de qui vous avez épousé la fleur, se métamorphosant en une femme pâle et maladive.

L’affection dont les ressources sont infinies pour les femmes, est la migraine. Cette maladie, la plus facile de toutes à jouer, car elle est sans aucun symptôme apparent, oblige à dire seulement : — J’ai la migraine. Une femme s’amuse-t-elle de vous, il n’existe personne au monde qui puisse donner un démenti à son crâne dont les os impénétrables défient et le tact et l’observation. Aussi la migraine est-elle, à notre avis, la reine des maladies, l’arme la plus plaisante et la plus terrible employée par les femmes contre leurs maris. Il existe des êtres violents et sans délicatesse qui, instruits des ruses féminines par leurs maîtresses pendant le temps heureux de leur célibat, se flattent de ne pas être pris à ce piége vulgaire. Tous leurs efforts, tous leurs raisonnements, tout finit par succomber devant la magie de ces trois mots : — J’ai la migraine ! Si un mari se plaint, hasarde un reproche, une observation ; s’il essaie de s’opposer à la puissance de cet Il buondo cani du mariage, il est perdu.

Imaginez une jeune femme, voluptueusement couchée sur un divan, la tête doucement inclinée sur l’un des coussins, une main pendante ; un livre est à ses pieds, et sa tasse d’eau de tilleul sur un petit guéridon !… Maintenant, placez un gros garçon de mari devant elle. Il a fait cinq à six tours dans la chambre ; et, à chaque fois qu’il a tourné sur ses talons pour recommencer cette promenade, la petite malade a laissé échapper un mouvement de sourcils pour lui indiquer en vain que le bruit le plus léger la fatigue. Bref, il rassemble tout son courage, et vient protester contre la ruse par cette phrase si hardie : — Mais as-tu bien la migraine ?… À