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tout doucement la grande route du sentiment ; et nous la reprenions de si haut qu’il était impossible d’entrevoir le terme du voyage. Heureusement que nous prenions aussi le chemin d’un pavillon qu’on me montra au bout de la terrasse, pavillon témoin des plus doux moments. On me détailla l’ameublement. Quel dommage de n’en pas avoir la clef ! Tout en causant nous approchâmes du pavillon, et il se trouva ouvert. Il lui manquait la clarté du jour, mais l’obscurité a bien ses charmes. Nous frémîmes en y entrant… C’était un sanctuaire, devait-il être celui de l’amour ? Nous allâmes nous asseoir sur un canapé, et nous y restâmes un moment à entendre nos cœurs. Le dernier rayon de la lune emporta bien des scrupules. La main qui me repoussait sentait battre mon cœur. On voulait fuir ; on retombait plus attendrie. Nous nous entretînmes dans le silence par le langage de la pensée. Rien n’est plus ravissant que ces muettes conversations. Madame de T. se réfugiait dans mes bras, cachait sa tête dans mon sein, soupirait et se calmait à mes caresses ; elle s’affligeait, se consolait, et demandait à l’amour pour tout ce que l’amour venait de lui ravir. La rivière rompait le silence de la nuit par un murmure doux qui semblait d’accord avec les palpitations de nos cœurs. L’obscurité était trop grande pour laisser distinguer les objets ; mais, à travers les crêpes transparents d’une belle nuit d’été, la reine de ces beaux lieux me parut adorable. — « Ah ! me dit-elle d’une voix céleste, sortons de ce dangereux séjour… On y est sans force pour résister. » Elle m’entraîna et nous nous éloignâmes à regret. — « Ah ! qu’elle est heureuse !… s’écria madame de T. — Qui donc ? demandai-je. — Aurais-je parlé ?… dit-elle avec terreur. Arrivés au banc de gazon, nous nous y arrêtâmes involontairement. — « Quel espace immense, me dit-elle, entre ce lieu-ci et le pavillon ! — Eh bien ! lui dis-je, ce banc doit-il m’être toujours fatal ? est-ce un regret, est-ce… » Je ne sais par quelle magie cela se fit ; mais la conversation changea, et devint moins sérieuse. On osa même plaisanter sur les plaisirs de l’amour, en séparer le moral, les réduire à leur plus simple expression, et prouver que les faveurs n’étaient que du plaisir ; qu’il n’y avait d’engagements (philosophiquement parlant), que ceux que l’on contractait avec le public, en lui laissant pénétrer nos secrets, en commettant avec lui des indiscrétions. — « Quelle douce nuit,