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it tout passer. Il ne dit jamais qu’un mot : — J’aime. Un amant est un héraut qui proclame ou le mérite, ou la beauté, ou l’esprit d’une femme. Que proclame un mari ?

Somme toute, l’amour qu’une femme mariée inspire ou celui qu’elle ressent est le sentiment le moins flatteur qu’il y ait au monde : chez elle, c’est une immense vanité ; chez son amant, c’est égoïsme. L’amant d’une femme mariée contracte trop d’obligations pour qu’il se rencontre trois hommes par siècle qui daignent s’acquitter ; il devrait consacrer toute sa vie à sa maîtresse, qu’il finit toujours par abandonner : l’un et l’autre le savent, et depuis que les sociétés existent, l’une a toujours été aussi sublime que l’autre a été ingrat. Une grande passion excite quelquefois la pitié des juges qui la condamnent, mais où voyez-vous des passions vraies et durables ? Quelle puissance ne faut-il pas à un mari pour lutter avec succès contre un homme dont les prestiges amènent une femme à se soumettre à de tels malheurs !

Nous estimons que, règle générale, un mari peut, en sachant bien employer les moyens de défense que nous avons déjà développés, amener sa femme jusqu’à l’âge de vingt-sept ans, non pas sans qu’elle ait choisi d’amant, mais sans qu’elle ait commis le grand crime. Il se rencontre bien çà et là des hommes qui, doués d’un profond génie conjugal, peuvent conserver leurs femmes pour eux seuls, corps et âme, jusqu’à trente ou trente-cinq ans ; mais ces exceptions causent une sorte de scandale et d’effroi. Ce phénomène n’arrive guère qu’en province, où la vie étant diaphane et les maisons vitrifiées, un homme s’y trouve armé d’un immense pouvoir. Cette miraculeuse assistance donnée à un mari par les hommes et par les choses s’évanouit toujours au milieu d’une ville dont la population monte à deux cent cinquante mille âmes.

Il serait donc à peu près prouvé que l’âge de trente ans est l’âge de la vertu. En ce moment critique, une femme devient d’une garde si difficile que, pour réussir à toujours l’enchaîner dans le paradis conjugal, il faut en venir à l’emploi des derniers moyens de défense qui nous restent, et que vont dévoiler l’Essai sur la Police, l’Art de rentrer chez soi et les Péripéties.