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Mais la plus grande erreur que puissent commettre les hommes est de croire que l’amour ne réside que dans ces moments fugitifs qui, selon la magnifique expression de Bossuet, ressemblent, dans notre vie, à des clous semés sur une muraille : ils paraissent nombreux à l’œil ; mais qu’on les rassemble, ils tiendront dans la main.

L’amour se passe presque toujours en conversations. Il n’y a qu’une seule chose d’inépuisable chez un amant, c’est la bonté, la grâce et la délicatesse. Tout sentir, tout deviner, tout prévenir ; faire des reproches sans affliger la tendresse ; désarmer un présent de tout orgueil ; doubler le prix d’un procédé par des formes ingénieuses ; mettre la flatterie dans les actions et non en paroles ; se faire entendre plutôt que de saisir vivement ; toucher sans frapper ; mettre de la caresse dans les regards et jusque dans le son de la voix ; ne jamais embarrasser ; amuser sans offenser le goût ; toujours chatouiller le cœur ; parler à l’âme… Voilà tout ce que les femmes demandent, elles abandonneront les bénéfices de toutes les nuits de Messaline pour vivre avec un être qui leur prodiguera ces caresses d’âme dont elles sont si friandes, et qui ne coûtent rien aux hommes, si ce n’est un peu d’attention.

Ces lignes renferment la plus grande partie des secrets du lit nuptial. Il y a peut-être des plaisants qui prendront cette longue définition de la politesse pour celle de l’amour, tandis que ce n’est, à tout prendre, que la recommandation de traiter votre femme comme vous traiteriez le ministre de qui dépend la place que vous convoitez.

J’entends des milliers de voix crier que cet ouvrage plaide plus souvent la cause des femmes que celle des maris ;

Que la plupart des femmes sont indignes de ces soins délicats, et qu’elles en abuseraient ;

Qu’il y a des femmes portées au libertinage, lesquelles ne s’accommoderaient pas beaucoup de ce qu’elles appelleraient des mystifications ;

Qu’elles sont tout vanité et ne pensent qu’aux chiffons ;

Qu’elles ont des entêtements vraiment inexplicables ;

Qu’elles se fâcheraient quelquefois d’une attention ;

Qu’elles sont sottes, ne comprennent rien, ne valent rien, etc.

En réponse à toutes ces clameurs nous inscrirons ici cette phrase, qui, mise entre deux lignes blanches, aura peut-être l’air d’une pensée, pour nous servir d’une expression de Beaumarchais.