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sans feintise. Si vous me trompez, vous serez traités sévèrement. Païens ou Chrétiens, Calvinistes ou Mahométans, vous avez ma parole royale de pouvoir sortir impunément du royaume au cas où vous auriez quelques peccadilles à vous reprocher. Enfin je vous laisse le demeurant de cette nuit et la matinée de demain pour faire votre examen de conscience, car vous êtes mes prisonniers, et vous allez me suivre en un lieu où vous serez gardés comme des trésors. » Avant de se rendre à mon ordre, les deux Florentins se sont consultés l’un l’autre par un regard fin, et Laurent Ruggieri m’a dit que je devais être certain qu’aucun supplice ne pourrait leur arracher leurs secrets ; malgré leur faiblesse apparente, ni la douleur, ni les sentiments humains n’avaient prise sur eux ; la confiance pouvait seule faire dire à leur bouche ce que gardait leur pensée. Je ne devais pas m’étonner qu’en ce moment ils traitassent d’égal à égal avec un roi qui ne connaissait que Dieu au-dessus de lui, car leur pensée ne relevait aussi que de Dieu. Ils réclamaient donc de moi autant de confiance qu’ils m’en accorderaient. Or, avant de s’engager à me répondre sans arrière-pensée, ils me demandaient de mettre ma main gauche dans la main de la jeune fille qui était là, et la droite dans la main de la vieille. Ne voulant pas leur donner lieu de penser que je craignais quelque sortilège, je tendis mes mains. Laurent prit la droite, Cosme prit la gauche, et chacun d’eux me la plaça dans main de chaque femme, en sorte que je fus comme Jésus-Christ entre ses deux larrons. Pendant tout le temps que les deux sorcières m’examinèrent les mains, Cosme me présenta un miroir en me priant de m’y regarder, et son frère parlait avec les deux femmes, dans une langue inconnue. Ni Tavannes ni moi, nous ne pûmes saisir le sens d’aucune phrase. Avant d’amener ces gens ici, nous avons mis les scellés sur toutes les issues de cette officine que Tavannes s’est chargé de garder jusqu’au moment où, par mon exprès commandement, Bernard de Palissy et Chapelain, mon médecin, s’y seront transportés pour faire une exacte perquisition de toutes les drogues qui s’y trouvent et s’y fabriquent. Afin de leur laisser ignorer les recherches qui se font dans leur cuisine, et de les empêcher de communiquer avec qui que ce soit au dehors, car ils auraient pu s’entendre avec ma mère, j’ai mis ces deux diables chez toi au secret, entre des Allemands de Solern qui valent les meilleures murailles de geôle. René lui-même a été gardé à vue dans sa chambre par l’écuyer de Solern, ainsi que