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l’homme en trahit sur-le-champ la gravité par l’expression la plus simple du bonheur, de la peine ou de la joie.

Les révélations sont alors faciles à recueillir : c’est un regard jeté ou sur la maison, ou sur les fenêtres de l’appartement ; c’est une démarche lente ou oisive ; le frottement des mains du sot, ou la course sautillante du fat, ou la station involontaire de l’homme profondément ému : enfin, vous aviez sur le palier les questions aussi nettement posées que si une académie de province proposait cent écus pour un discours ; à la sortie, les solutions sont claires et précises. Notre tâche serait au-dessus des forces humaines s’il fallait dénombrer les différentes manières dont les hommes trahissent leurs sensations : là, tout est tact et sentiment.

Si vous appliquez ces principes d’observation aux étrangers, à plus forte raison soumettrez-vous votre femme aux mêmes formalités.

Un homme marié doit avoir fait une étude profonde du visage de sa femme. Cette étude est facile, elle est même involontaire et de tous les moments. Pour lui, cette belle physionomie de la femme ne doit plus avoir de mystères. Il sait comment les sensations s’y peignent, et sous quelle expression elles se dérobent au feu du regard.

Le plus léger mouvement de lèvres, la plus imperceptible contraction des narines, les dégradations insensibles de l’œil, l’altération de la voix, et ces nuages indéfinissables qui enveloppent les traits, ou ces flammes qui les illuminent, tout est langage pour vous.

Cette femme est là : tous la regardent, et nul ne peut comprendre sa pensée. Mais, pour vous, la prunelle est plus ou moins colorée, étendue, ou resserrée ; la paupière a vacillé, le sourcil a remué ; un pli, effacé aussi rapidement qu’un sillon sur la mer, a paru sur le front ; la lèvre a été rentrée, elle a légèrement fléchi ou s’est animée… pour vous, la femme a parlé.

Si, dans ces moments difficiles où une femme dissimule en présence de son mari, vous avez l’âme du Sphinx pour la deviner, vous sentez bien que les principes de la douane deviennent un jeu d’enfant à son égard.

En arrivant chez elle ou en sortant, lorsqu’elle se croit seule, enfin votre femme a toute l’imprudence d’une corneille, et se dirait tout haut, à elle-même, son secret : aussi, par le changement