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Soit qu’il tourmente sa botte, en la regardant, comme s’il se disait : « Eh ! mais, voilà un pied qui n’est certes pas mal tourné !… »

Soit qu’il arrive à pied ou en voiture, qu’il efface ou non la légère empreinte de boue qui salit sa chaussure ;

Soit même qu’il reste immobile, impassible comme un Hollandais qui fume ;

Soit que, les yeux attachés à cette porte, il ressemble à une âme sortant du purgatoire et attendant saint Pierre et ses clefs ;

Soit qu’il hésite à tirer le cordon de la sonnette ; et soit qu’il le saisisse négligemment, précipitamment, familièrement ou comme un homme sûr de son fait ;

Soit qu’il ait sonné timidement, faisant retentir un tintement perdu dans le silence des appartements comme un premier coup de matines en hiver dans un couvent de Minimes ; ou soit qu’après avoir sonné avec vivacité, il sonne encore, impatienté de ne pas entendre les pas d’un laquais ;

Soit qu’il donne à son haleine un parfum délicat en mangeant une pastille de cachundé ;

Soit qu’il prenne d’un air empesé une prise de tabac, en en chassant soigneusement les grains qui pourraient altérer la blancheur de son linge ;

Soit qu’il regarde autour de lui, en ayant l’air d’estimer la lampe de l’escalier, le tapis, la rampe, comme s’il était marchand de meubles, ou entrepreneur de bâtiments ;

Soit enfin que ce célibataire soit jeune ou âgé, ait froid ou chaud, arrive lentement, tristement ou joyeusement, etc.

Vous sentez qu’il y a là, sur la marche de votre escalier, une masse étonnante d’observations.

Les légers coups de pinceau que nous avons essayé de donner à cette figure vous montrent, en elle, un véritable kaléidoscope moral avec ses millions de désinences. Et nous n’avons même pas voulu faire arriver de femme sur ce seuil révélateur ; car nos remarques, déjà considérables, seraient devenues innombrables et légères comme les grains de sable de la mer.

En effet, devant cette porte fermée, un homme se croit entièrement seul ; et, pour peu qu’il attende, il y commence un monologue muet, un soliloque indéfinissable, où tout, jusqu’à son pas, dévoile ses espérances, ses désirs, ses intentions, ses secrets, ses qualités, ses défauts, ses vertus, etc. ; enfin, un homme est, sur un