Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/453

Cette page n’a pas encore été corrigée

quand elles lisent. D’abord, vous verrez dans la Méditation suivante combien la vie sédentaire rend une femme belliqueuse ; mais n’avez-vous donc jamais rencontré de ces êtres sans poésie, qui réussissent à pétrifier leurs pauvres compagnes, en réduisant la vie à tout ce qu’elle a de mécanique ? Étudiez ces grands hommes en leurs discours ! apprenez par cœur les admirables raisonnements par lesquels ils condamnent la poésie et les plaisirs de l’imagination.

Mais si après tous vos efforts votre femme persistait à vouloir lire…, mettez à l’instant même à sa disposition tous les livres possibles, depuis l’Abécédaire de son marmot jusqu’à René, livre plus dangereux pour vous entre ses mains que Thérèse philosophe. Vous pourriez la jeter dans un dégoût mortel de la lecture en lui donnant des livres ennuyeux ; la plonger dans un idiotisme complet, avec Marie Alacoque, la Brosse de pénitence, ou avec les chansons qui étaient de mode au temps de Louis XV ; mais plus tard vous trouverez dans ce livre les moyens de si bien consumer le temps de votre femme, que toute espèce de lecture lui sera interdite.

Et, d’abord, voyez les ressources immenses que vous a préparées l’éducation des femmes pour détourner la vôtre de son goût passager pour la science. Examinez avec quelle admirable stupidité les filles se sont prêtées aux résultats de l’enseignement qu’on leur a imposé en France ; nous les livrons à des bonnes, à des demoiselles de compagnie, à des gouvernantes qui ont vingt mensonges de coquetterie et de fausse pudeur à leur apprendre contre une idée noble et vraie à leur inculquer. Les filles sont élevées en esclaves et s’habituent à l’idée qu’elles sont au monde pour imiter leurs grand’mères, et faire couver des serins de Canarie, composer des herbiers, arroser de petits rosiers de Bengale, remplir de la tapisserie ou se monter des cols. Aussi, à dix ans, si une petite fille a eu plus de finesse qu’un garçon à vingt, est-elle timide, gauche. Elle aura peur d’une araignée, dira des riens, pensera aux chiffons, parlera modes, et n’aura le courage d’être ni mère, ni chaste épouse.

Voici quelle marche on a suivie : on leur a montré à colorier des roses, à broder des fichus de manière à gagner huit sous par jour. Elles auront appris l’histoire de France dans Le Ragois, la chronologie dans les Tables du citoyen Chantreau, et l’on aura laissé leur jeune imagination se déchaîner sur la géographie ; le