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mon camarade, je m’étais promis de rendre une visite à ce digne mathématicien, avant de livrer mon estomac à toutes les friandises de l’amitié. Je pénétrai facilement jusqu’au cœur d’un cabinet, où tout était couvert d’une poussière attestant les honorables distractions du savant. Une surprise m’y était réservée. J’aperçus une jolie dame assise sur le bras d’un fauteuil comme si elle eût monté un cheval anglais, elle me fit cette petite grimace de convention réservée par les maîtresses de maison pour les personnes qu’elles ne connaissent pas, mais elle ne déguisa pas assez bien l’air boudeur qui, à mon arrivée, attristait sa figure, pour que je ne devinasse pas l’inopportunité de ma présence. Sans doute occupé d’une équation, mon maître n’avait pas encore levé la tête ; alors, j’agitai ma main droite vers la jeune dame, comme un poisson qui remue sa nageoire, et je me retirai sur la pointe des pieds en lui lançant un mystérieux sourire qui pouvait se traduire par : « Ce ne sera certes pas moi qui vous empêcherai de lui faire faire une infidélité à Uranie. » Elle laissa échapper un de ces gestes de tête dont la gracieuse vivacité ne peut se traduire. — « Eh ! mon bon ami, ne vous en allez pas ! s’écria le géomètre. C’est ma femme ! » Je saluai derechef !… Ô Coulon ! où étais-tu pour applaudir le seul de tes élèves qui comprît alors ton expression d’anacréontique appliquée à une révérence !… L’effet devait en être bien pénétrant, car madame la professeuse, comme disent les Allemands, rougit et se leva précipitamment pour s’en aller en me faisant un léger salut qui semblait dire : — adorable !… Son mari l’arrêta en lui disant : — « Reste, ma fille. C’est un de mes élèves. » La jeune femme avança la tête vers le savant, comme un oiseau qui, perché sur une branche, tend le cou pour avoir une graine. — « Cela n’est pas possible !… dit le mari en poussant un soupir ; et je vais te le prouver par À plus B. — Eh ! monsieur, laissons cela, je vous prie ! répondit-elle en clignant des yeux et me montrant. (Si ce n’eût été que de l’algèbre, mon maître aurait pu comprendre ce regard, mais c’était pour lui du chinois, et alors il continua.) — Ma fille, vois, je te fais juge ; nous avons dix mille francs de rente… » À ces mots, je me retirai vers la porte comme si j’eusse été pris de passion pour des lavis encadrés que je me mis à examiner. Ma discrétion fut récompensée par une éloquente œillade. Hélas ! elle ne savait pas que j’aurais pu jouer dans Fortunio le rôle de Fine-Oreille qui entend pousser les truffes. — « Les principes de l’économie générale,