Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/422

Cette page n’a pas encore été corrigée

de doute, il est abattu aux pieds de Thésée. Eh ! bien, madame, pourquoi ne demanderions-nous pas à la mythologie de venir au secours de l’hypocrisie qui nous gagne et nous empêche de rire comme riaient nos pères ? Ainsi, lorsque dans le monde une jeune dame n’a pas très-bien su étendre le voile sous lequel une femme honnête couvre sa conduite, là où nos aïeux auraient rudement tout expliqué par un seul mot, vous, comme une foule de belles dames à réticences, vous vous contentez de dire : — « Ah ! oui, elle est fort aimable, mais… — Mais quoi ?.. — Mais elle est souvent bien inconséquente… » J’ai long-temps cherché, madame, le sens de ce dernier mot et surtout la figure de rhétorique par laquelle vous lui faisiez exprimer le contraire de ce qu’il signifie ; mes méditations ont été vaines. Vert-Vert a donc, le dernier, prononcé le mot de nos ancêtres, et encore s’est-il adressé, par malheur, à d’innocentes religieuses, dont les infidélités n’atteignaient en rien l’honneur des hommes. Quand une femme est inconséquente, le mari serait, selon moi, minotaurisé. Si le minotaurisé est un galant homme, s’il jouit d’une certaine estime, et beaucoup de maris méritent réellement d’être plaints, alors, en parlant de lui, vous dites encore d’une petite voix flûtée : « M. À… est un homme bien estimable, sa femme est fort jolie, mais on prétend qu’il n’est pas heureux dans son intérieur. » Ainsi, madame, l’homme estimable malheureux dans son intérieur, l’homme qui a une femme inconséquente, ou le mari minotaurisé, sont tout bonnement des maris à la façon de Molière. Hé ! bien, déesse du goût moderne, ces expressions vous semblent-elles d’une transparence assez chaste ?

— Ah ! mon Dieu, dit-elle en souriant, si la chose reste, qu’importe qu’elle soit exprimée en deux syllabes ou en cent ?

Elle me salua par une petite révérence ironique et disparut, allant sans doute rejoindre ces comtesses de préface et toutes ces créatures métaphoriques si souvent employées par les romanciers à retrouver ou à composer des manuscrits anciens.

Quant à vous, êtres moins nombreux et plus réels qui me lisez, si, parmi vous, il est quelques gens qui fassent cause commune avec mon champion conjugal, je vous avertis que vous ne deviendrez pas tout d’un coup malheureux dans votre intérieur. Un homme arrive à cette température conjugale par degrés et insensiblement. Beaucoup de maris sont même restés malheureux dans