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connu sa pensée postérieure, son intelligence intuitive ne périt-elle point ? Qui donc aurait raison entre ces deux Éternités ? sera-ce l’Éternité incréée ou l’Éternité créée ? S’il a voulu de tout temps le monde tel qu’il est, cette nouvelle nécessité, d’ailleurs en harmonie avec l’idée d’une souveraine intelligence, implique la co-éternité de la matière. Que la Matière soit co-éternelle par une volonté divine nécessairement semblable à elle-même en tout temps, ou que la Matière soit co-éternelle par elle-même, la puissance de Dieu devant être absolue, périt avec son Libre-Arbitre ; il trouverait toujours en lui une raison déterminante qui l’aurait dominé. Est-ce être Dieu que de ne pas plus pouvoir se séparer de sa création dans une postérieure que dans une antérieure éternité ? Cette face du problème est donc insoluble dans sa cause ? Examinons-la dans ses effets. Si Dieu, forcé d’avoir créé le monde de toute éternité, semble inexplicable, il l’est tout autant dans sa perpétuelle cohésion avec son œuvre. Dieu, contraint de vivre éternellement uni à sa création, est tout aussi ravalé que dans sa première condition d’ouvrier. Concevez-vous un Dieu qui ne peut pas plus être indépendant que dépendant de son œuvre ? Peut-il la détruire sans se récuser lui-même ? Examinez, choisissez ! Qu’il la détruise un jour, qu’il ne la détruise jamais, l’un ou l’autre terme est fatal aux attributs sans lesquels il ne saurait exister. Le monde est-il un essai, une forme périssable dont la destruction aura lieu ? Dieu ne serait-il pas inconséquent et impuissant ? Inconséquent : ne devait-il pas voir le résultat avant l’expérience, et pourquoi tarde-t-il à briser ce qu’il brisera ? Impuissant : devait-il créer un monde imparfait ? Si la création imparfaite dément les facultés que l’homme attribue à Dieu, retournons alors à la question ! supposons la création parfaite. L’idée est en harmonie avec celle d’un Dieu souverainement intelligent qui n’a dû se tromper en rien ; mais alors pourquoi la dégradation ? pourquoi la régénération ? Puis le monde parfait est nécessairement indestructible, ses formes ne doivent point périr ; le monde n’avance ni ne recule jamais, il roule dans une éternelle circonférence d’où il ne sortira point ? Dieu sera donc dépendant de son œuvre ; elle lui est donc co-éternelle, ce qui fait revenir l’une des propositions qui attaquent le plus Dieu. Imparfait, le monde admet une marche, un progrès ; mais parfait, il est stationnaire. S’il est impossible d’admettre un Dieu progressif, ne sachant pas de toute éternité le résultat de sa création ; Dieu