Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/28

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Charles, je t’ai fait faire un beau chemin, lui dit gravement son frère ; mais si tu veux être duc aussi, sois comme moi l’âme damnée de notre maîtresse elle restera reine, elle est ici la plus forte. Madame de Sauves est toujours à elle, et le roi de Navarre, le duc d’Alençon sont toujours à madame de Sauves ; Catherine les tiendra toujours en laisse, sous celui-ci, comme sous le règne du roi Henri III. Dieu veuille que celui-là ne soit pas ingrat !

— Pourquoi ?

— Sa mère fait trop pour lui.

— Eh ! mais j’entends du bruit dans la rue Saint-Honoré, s’écria le grand-maître on ferme la porte de René ! Ne distingues-tu pas le pas de plusieurs hommes ? Les Ruggieri sont arrêtés.

— Ah ! diavolo ! voici de la prudence. Le roi n’a pas suivi son impétuosité accoutumée. Mais où les mettrait-il en prison ? Allons voir ce qui se passe.

Les deux frères arrivèrent au coin de la rue de l’Autruche au moment où le roi entrait chez sa maîtresse. À la lueur des flambeaux que tenait le concierge, ils purent apercevoir Tavannes et les Ruggieri.

— Eh ! bien, Tavannes, s’écria le grand-maître en courant après le compagnon du roi qui retournait vers le Louvre, que vous est-il arrivé ?

— Nous sommes tombés en plein consistoire de sorciers nous en avons arrêté deux qui sont de vos amis et qui pourront expliquer, à l’usage des seigneurs français, par quels moyens vous avez mis la main sur deux charges de la couronne, vous qui n’êtes pas du pays, dit Tavannes moitié riant, moitié sérieux.

— Et le roi ? fit le grand-maître en homme que l’inimitié de Tavannes inquiétait peu.

— Il reste chez sa maîtresse.

— Nous sommes arrivés par le dévouement le plus absolu pour nos maîtres,une belle et noble voie que vous avez prise aussi, mon cher duc, répondit le maréchal de Retz.

Les trois courtisans cheminèrent en silence. Au moment où ils se quittèrent en retrouvant chacun leurs gens pour se faire accompagner chez eux, deux hommes se glissèrent lestement le long des murailles de la rue de l’Autruche. Ces deux hommes étaient le roi et le comte de Solern qui arrivèrent promptement au bord de la Seine, à un endroit où une barque et des rameurs choisis par