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— Violence ! violence ! s’écria-t-il. Venez ! venez tous ! Les Satans sont déchaînés ! ils ont des mitres de feu. Ce sont des Adonis, des Vertumnes, des Sirènes ! ils le tentent comme Jésus fut tenté sur la montagne. Venez les chasser.

— Reconnaissez-vous le langage de Swedenborg ? le voilà pur, dit en riant le pasteur.

Mais Wilfrid et Minna regardaient avec terreur le vieux David qui, ses cheveux blancs épars, les yeux égarés, les jambes tremblantes et couvertes de neige, car il était venu sans patins, restait agité comme si quelque vent tumultueux le tourmentait.

— Qu’est-il arrivé ? lui dit Minna.

— Eh ! bien, les Satans espèrent et veulent le reconquérir.

Ces mots firent palpiter Wilfrid.

— Voici près de cinq heures qu’elle est debout, les yeux levés au ciel, les bras étendus ; elle souffre, elle crie à Dieu. Je ne puis franchir les limites, l’enfer a posé des Vertumnes en sentinelle. Ils ont élevé des murailles de fer entre elle et son vieux David. Si elle a besoin de moi, comment ferai-je ? Secourez-moi ! venez prier !

Le désespoir de ce pauvre vieillard était effrayant à voir.

— La clarté de Dieu la défend ; mais si elle allait céder à la violence ? reprit-il avec une bonne foi séductrice.

— Silence ! David, n’extravaguez pas ! Ceci est un fait à vérifier. Nous allons vous accompagner, dit le pasteur, et vous verrez qu’il ne se trouve chez vous ni Vertumnes, ni Satans, ni Sirènes.

— Votre père est aveugle, dit tout bas David à Minna.

Wilfrid, sur qui la lecture d’un premier traité de Swedenborg, qu’il avait rapidement parcouru, venait de produire un effet violent, était déjà dans le corridor, occupé à mettre ses patins. Minna fut prête aussitôt. Tous deux laissèrent en arrière les deux vieillards, et s’élancèrent vers le château suédois.

— Entendez-vous ce craquement ? dit Wilfrid.

— La glace du Fiord remue, répondit Minna ; mais voici bientôt le printemps.

Wilfrid garda le silence. Quand tous deux furent dans la cour, ils ne se sentirent ni la faculté ni la force d’entrer dans la maison.

— Que pensez-vous d’elle ? dit Wilfrid.

— Quelles clartés ! s’écria Minna qui se plaça devant la fenêtre