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cesseraient d’être. Debout, à leurs pieds, elle les regardait d’un œil calme, sans témoigner ni tristesse, ni douleur, ni joie, ni curiosité ; son père et sa mère lui souriaient. Quand nous vînmes prendre les deux corps, elle dit : — Emportez ! — Séraphîta, lui dis-je, car nous l’avons appelée ainsi, n’êtes-vous donc pas affectée de la mort de votre père et de votre mère ? ils vous aimaient tant ! — Morts ? dit-elle. Non, ils sont en moi pour toujours. Ceci n’est rien, ajouta-t-elle en montrant sans aucune émotion les corps que l’on enlevait. Je la voyais pour la troisième fois depuis sa naissance. Au temple, il est difficile de l’apercevoir, elle est debout près de la colonne à laquelle tient la chaire dans une obscurité qui ne permet pas de saisir ses traits. Des serviteurs de cette maison, il ne restait, lors de cet événement, que le vieux David, qui, malgré ses quatre-vingt-deux ans, suffit à servir sa maîtresse. Quelques gens de Jarvis ont raconté des choses merveilleuses sur cette fille. Leurs contes ayant pris une certaine consistance dans un pays essentiellement ami des mystères, je me suis mis à étudier le traité des Incantations de Jean Wier, et les ouvrages relatifs à la démonologie, où sont consignés les effets prétendus surnaturels en l’homme, afin d’y chercher des faits analogues à ceux qui lui sont attribués.

— Vous ne croyez donc pas en elle ? dit Wilfrid.

— Si fait, dit avec bonhomie le pasteur, je vois en elle une fille extrêmement capricieuse, gâtée par ses parents, qui lui ont tourné la tête avec les idées religieuses que je viens de vous formuler.

Minna laissa échapper un signe de tête qui exprima doucement une négation.

— Pauvre fille ! dit le docteur en continuant, ses parents lui ont légué l’exaltation funeste qui égare les mystiques et les rend plus ou moins fous. Elle se soumet à des diètes qui désolent le pauvre David. Ce bon vieillard ressemble à une plante chétive qui s’agite au moindre vent, qui s’épanouit au moindre rayon de soleil. Sa maîtresse, dont le langage incompréhensible est devenu le sien, est son vent et son soleil ; elle a pour lui des pieds de diamant et le front parsemé d’étoiles ; elle marche environnée d’une lumineuse et blanche atmosphère ; sa voix est accompagnée de musiques ; elle a le don de se rendre invisible, Demandez à la voir ? il vous répondra qu’elle voyage dans les Terres Astrales. Il est difficile de croire à de telles fables. Vous le savez, tout miracle