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sommes qu’une parcelle aussi petite que Dieu est grand, mais nous pouvons en pressentir l’étendue, nous agenouiller, adorer, attendre. Les hommes se trompent toujours dans leurs sciences, en ne voyant pas que tout, sur leur globe, est relatif et s’y coordonne à une révolution générale, à une production constante qui nécessairement entraîne un progrès et une fin. L’homme lui-même n’est pas une création finie, sans quoi Dieu ne serait pas !

— Comment as-tu trouvé le temps d’apprendre tant de choses ? dit la jeune fille.

— Je me souviens, répondit-il.

— Tu me sembles plus beau que tout ce que je vois.

— Nous sommes un des plus grands ouvrages de Dieu. Ne nous a-t-il pas donné la faculté de réfléchir la nature, de la concentrer en nous par la pensée, et de nous en faire un marchepied pour nous élancer vers lui ? Nous nous aimons en raison du plus ou du moins de ciel que contiennent nos âmes. Mais ne sois pas injuste, Minna, vois le spectacle qui s’étale à tes pieds, n’est-il pas grand. À tes pieds, l’Océan se déroule comme un tapis, les montagnes sont comme les murs d’un cirque, l’éther est au-dessus comme le voile arrondi de ce théâtre, et d’ici l’on respire les pensées de Dieu comme un parfum. Vois ? les tempêtes qui brisent des vaisseaux chargés d’hommes ne nous semblent ici que de faibles bouillonnements, et si tu lèves la tête au-dessus de nous, tout est bleu. Voici comme un diadème d’étoiles. Ici, disparaissent les nuances des expressions terrestres. Appuyée sur cette nature subtilisée par l’espace, ne sens-tu point en toi plus de profondeur que d’esprit ? n’as-tu pas plus de grandeur que d’enthousiasme, plus d’énergie que de volonté ? n’éprouves-tu pas des sensations dont l’interprète n’est plus en nous ? Ne te sens-tu pas des ailes ? Prions.

Séraphîtüs plia le genou, se posa les mains en croix sur le sein et Minna tomba sur ses genoux en pleurant. Ils restèrent ainsi pendant quelques instants, pendant quelques instants l’auréole bleue qui s’agitait dans les cieux au-dessus de leurs têtes s’agrandit, et de lumineux rayons les enveloppèrent à leur insu.

— Pourquoi ne pleures-tu pas quand je pleure ? lui dit Minna d’une voix entrecoupée.

— Ceux qui sont tout esprit ne pleurent pas, répondit Séraphîtüs en se levant. Comment pleurerais-je ? Je ne vois plus les misères humaines. Ici, le bien éclate dans toute sa majesté ; en