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d’où ils purent voir les radieuses décorations de la nature polaire.

— Avant de regarder et de t’écouter, dis-moi, Séraphîtüs, pourquoi tu me repousses ? T’ai-je déplu ? comment, dis ? Je voudrais ne rien avoir à moi ; je voudrais que mes richesses terrestres fussent à toi, comme à toi sont déjà les richesses de mon cœur ; que la lumière ne me vint que par tes yeux, comme ma pensée dérive de ta pensée ; je ne craindrais plus de t’offenser en te renvoyant ainsi les reflets de ton âme, les mots de ton cœur, le jour de ton jour, comme nous renvoyons à Dieu les contemplations dont il nourrit nos esprits. Je voudrais être tout toi !

— Hé ! bien, Minna, un désir constant est une promesse que nous fait l’avenir. Espère ! Mais si tu veux être pure, mêle toujours l’idée du Tout-Puissant aux affections d’ici-bas, tu aimeras alors toutes les créatures, et ton cœur ira bien haut !

— Je ferai tout ce que tu voudras, répondit-elle en levant les yeux sur lui par un mouvement timide.

— Je ne saurais être ton compagnon, dit Séraphîtüs avec tristesse.

Il réprima quelques pensées, étendit les bras vers Christiania, qui se voyait comme un point à l’horizon, et dit : — Vois !

— Nous sommes bien petits, répondit-elle.

— Oui, mais nous devenons grands par le sentiment et par l’intelligence, reprit Séraphîtüs. À nous seuls, Minna, commence la connaissance des choses ; le peu que nous apprenons des lois du monde visible nous fait découvrir l’immensité des mondes supérieurs. Je ne sais s’il est temps de te parler ainsi ; mais je voudrais tant te communiquer la flamme de mes espérances ! Peut être serions-nous un jour ensemble, dans le monde où l’amour ne périt pas.

— Pourquoi pas maintenant et toujours ? dit-elle en murmurant.

— Rien n’est stable ici, reprit-il dédaigneusement. Les passagères félicités des amours terrestres sont des lueurs qui trahissent à certaines âmes l’aurore de félicités plus durables, de même que la découverte d’une loi de la nature en fait supposer, à quelques êtres privilégiés, le système entier. Notre fragile bonheur d’ici-bas n’est-il donc point l’attestation d’un autre bonheur complet comme la terre, fragment du monde, atteste le monde ? Nous ne pouvons mesurer l’orbite immense de la pensée divine de laquelle nous ne