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une insupportable chaleur, battit dans ses veines, et brisa toutes ses extrémités par des atteintes électriques semblables à celles que cause le contact de la torpille. Trop faible pour résister, elle se sentait attirée par une force inconnue en bas de cette table, où elle croyait voir quelque monstre qui lui lançait son venin, un monstre dont les yeux magnétiques la charmaient, dont la gueule ouverte semblait broyer sa proie par avance.

— Je meurs, mon Séraphîtüs, n’ayant aimé que toi, dit-elle en faisant un mouvement machinal pour se précipiter.

Séraphîtüs lui souffla doucement sur le front et sur les yeux. Tout à coup, semblable au voyageur délassé par un bain, Minna n’eut plus que la mémoire de ses vives douleurs, déjà dissipées par cette haleine caressante qui pénétra son corps et l’inonda de balsamiques effluves, aussi rapidement que le souffle avait traversé l’air.

— Qui donc es-tu ? dit-elle avec un sentiment de douce terreur. Mais je le sais, tu es ma vie. — Comment peux-tu regarder ce gouffre sans mourir ? reprit-elle après une pause.

Séraphîtüs laissa Minna cramponnée au granit, et, comme eût fait une ombre, il alla se poser sur le bord de la table, d’où ses yeux plongèrent au fond du Fiord en en défiant l’éblouissante profondeur, son corps ne vacilla point, son front resta blanc et impassible comme celui d’une statue de marbre : abîme contre abîme.

— Séraphîtüs, si tu m’aimes, reviens ! cria la jeune fille. Ton danger me rend mes douleurs. — Qui donc es-tu pour avoir cette force surhumaine à ton âge ? lui demanda-t-elle en se sentant de nouveau dans ses bras.

— Mais, répondit Séraphîtüs, tu regardes sans peur des espaces encore plus immenses.

Et, de son doigt levé, cet être singulier lui montra l’auréole bleue que les nuages dessinaient en laissant un espace clair au-dessus de leurs têtes, et dans lequel les étoiles se voyaient pendant le jour en vertu de lois atmosphériques encore inexpliquées.

— Quelle différence ! dit-elle en souriant.

— Tu as raison, répondit-il, nous sommes nés pour tendre au ciel. La patrie, comme le visage d’une mère, n’effraie jamais un enfant.

Sa voix vibra dans les entrailles de sa compagne devenue muette.