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poteaux en formant un chemin couvert autour de la maison. Pendant ces terribles hivers, les femmes tissent et teignent les étoffes de laine ou de toile dont se font les vêtements, tandis que la plupart des hommes lisent ou se livrent à ces prodigieuses méditations qui ont enfanté les profondes théories, les rêves mystiques du nord, ses croyances, ses études si complètes sur un point de la science fouillé comme avec une sonde ; mœurs à demi monastiques qui forcent l’âme à réagir sur elle-même, à y trouver sa nourriture, et qui font du paysan norwégien un être à part dans la population européenne. Dans la première année du dix-neuvième siècle, et vers le milieu du mois de mai, tel était donc l’état du Stromfiord.

Par une matinée où le soleil éclatait au sein de ce paysage en y allumant les feux de tous les diamants éphémères produits par les cristallisations de la neige et des glaces, deux personnes passèrent sur le golfe, le traversèrent et volèrent le long des bases du Falberg, vers le sommet duquel elles s’élevèrent de frise en frise. Était-ce deux créatures, était-ce deux flèches ? Qui les eût vues à cette hauteur les aurait prises pour deux eiders cinglant de conserve à travers les nuées. Ni le pécheur le plus superstitieux, ni le chasseur le plus intrépide n’eût attribué à des créatures humaines le pouvoir de se tenir le long des faibles lignes tracées sur les flancs du granit, où ce couple glissait néanmoins avec l’effrayante dextérité que possèdent les somnambules quand, ayant oublié toutes les conditions de leur pesanteur et les dangers de la moindre déviation, ils courent au bord des toits en gardant leur équilibre sous l’empire d’une force inconnue.

— Arrête-moi, SÉRAPHÎTÜS, dit une pâle jeune fille, et laisse-moi respirer. Je n’ai voulu regarder que toi en côtoyant les murailles de ce gouffre ; autrement, que serais-je devenue ? Mais aussi ne suis-je qu’une bien faible créature. Te fatigué-je ?

— Non, dit l’être sur le bras de qui elle s’appuyait. Allons toujours, Minna ! la place où nous sommes n’est pas assez solide pour nous y arrêter.

De nouveau, tous deux ils firent siffler sur la neige de longues planches attachées à leurs pieds, et parvinrent sur la première plinthe que le hasard avait nettement dessinée sur le flanc de cet abîme. La personne que Minna nommait Séraphîtüs s’appuya sur son talon droit pour relever la planche longue d’environ une toise, étroite comme un pied d’enfant, et qui était attachée à son brodequin par