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tout tenter maintenant. J’étais revenu à Blois, découragé. Cinq ans d’études au milieu de Paris m’avaient montré le monde comme une prison. Je concevais des sciences entières et n’osais en parler. La gloire me semblait un charlatanisme auquel une âme vraiment grande ne devait pas se prêter. Mes idées ne pouvaient donc passer que sous la protection d’un homme assez hardi pour monter sur les tréteaux de la Presse, et parler d’une voix haute aux niais qu’il méprise. Cette intrépidité me manquait. J’allais, brisé par les arrêts de cette foule, désespérant d’être jamais écouté par elle. J’étais et trop bas et trop haut ! Je dévorais mes pensées comme d’autres dévorent leurs humiliations. J’en étais arrivé à mépriser la science, en lui reprochant de ne rien ajouter au bonheur réel. Mais depuis hier, en moi tout est changé. Pour vous je convoite les palmes de la gloire et tous les triomphes du talent. Je veux, en apportant ma tête sur vos genoux, y faire reposer les regards du monde, comme je veux mettre dans mon amour toutes les idées, tous les pouvoirs ! La plus immense des renommées est un bien que nulle puissance autre que celle du génie ne saurait créer. Eh ! bien, je puis, si je le veux, vous faire un lit de lauriers. Mais si les paisibles ovations de la science ne vous satisfaisaient pas, je porte en moi le Glaive et la Parole, je saurai courir dans la carrière des honneurs et de l’ambition comme d’autres s’y traînent ! Parlez, Pauline, je serai tout ce que vous voudrez que je sois. Ma volonté de fer peut tout. Je suis aimé ! Armé de cette pensée, un homme ne doit-il pas faire tout plier devant lui. Tout est possible à celui qui veut tout. Soyez le prix du succès, et demain j’entre en lice. Pour obtenir un regard comme celui que vous m’avez jeté, je franchirais le plus profond des précipices. Vous m’avez expliqué les fabuleuses entreprises de la chevalerie, et les plus capricieux récits des Mille et une Nuits. Maintenant je crois aux plus fantastiques exagérations de l’amour, et à la réussite de tout ce qu’entreprennent les prisonniers pour conquérir la liberté. Vous avez réveillé mille vertus endormies dans mon être : la patience, la résignation, toutes les forces du cœur, toutes les puissances de l’âme. Je vis par vous, et, pensée délicieuse, pour vous. Maintenant tout a un sens, pour moi, dans cette vie. Je comprends tout, même les vanités de la richesse. Je me surprends à verser toutes les perles de l’Inde à vos pieds ; je me plais à vous voir couchée, ou parmi les plus belles fleurs, ou sur le plus moelleux des tissus, et toutes les splen-