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pour ses lettres d’amour. Quoi qu’il en soit, il a fallu toute l’ardeur de mon culte pour sa mémoire, et l’espèce de fanatisme que donne une entreprise de ce genre pour deviner et rétablir le sens des cinq lettres qui suivent. Ces papiers que je conserve avec une sorte de piété, sont les seuls témoignages matériels de son ardente passion. Mademoiselle de Villenoix a sans doute détruit les véritables lettres qui lui furent adressées, fastes éloquents du délire qu’elle causa. La première de ces lettres, qui était évidemment ce qu’on nomme un brouillon, attestait par sa forme et par son ampleur ces hésitations, ces troubles du cœur, ces craintes sans nombre éveillées par l’envie de plaire, ces changements d’expression et ces incertitudes entre toutes les pensées qui assaillent un jeune homme écrivant sa première lettre d’amour : lettre dont on se souvient toujours, dont chaque phrase est le fruit d’une rêverie, dont chaque mot excite de longues contemplations, où le sentiment le plus effréné de tous comprend la nécessité des tournures les plus modestes, et, comme un géant qui se courbe pour entrer dans une chaumière, se fait humble et petit pour ne pas effrayer une âme de jeune fille. Jamais antiquaire n’a manié ses palimpsestes avec plus de respect que je n’en eus à étudier, à reconstruire ces monuments mutilés d’une souffrance et d’une joie si sacrées pour ceux qui ont connu la même souffrance et la même joie.


I.

« Mademoiselle, quand vous aurez lu cette lettre, si toutefois vous la lisez, ma vie sera entre vos mains, car je vous aime ; et, pour moi, espérer d’être aimé, c’est la vie. Je ne sais si d’autres n’ont point, en vous parlant d’eux, abusé déjà des mots que j’emploie ici pour vous peindre l’état de mon âme ; croyez cependant à la vérité de mes expressions, elles sont faibles mais sincères. Peut-être est-ce mal d’avouer ainsi son amour ? Oui, la voix de mon cœur me conseillait d’attendre en silence que ma passion vous eût touchée, afin de la dévorer, si ses muets témoignages vous déplaisaient ; ou pour l’exprimer plus chastement encore que par des paroles, si je trouvais grâce à vos yeux. Mais après avoir longtemps écouté les délicatesses desquelles s’effraie un jeune cœur,