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yeux voilés par de longues paupières frangées de cils épais et recourbés. Une innocence biblique éclatait sur son front. Son teint avait la blancheur mate des robes du lévite. Elle restait habituellement silencieuse et recueillie ; mais ses gestes, ses mouvements témoignaient d’une grâce cachée, de même que ses paroles attestaient l’esprit doux et caressant de la femme. Cependant elle n’avait pas cette fraîcheur rosée, ces couleurs purpurines qui décorent les joues de la femme pendant son âge d’insouciance. Des nuances brunes, mélangées de quelques filets rougeâtres, remplaçaient dans son visage la coloration, et trahissaient un caractère énergique, une irritabilité nerveuse que beaucoup d’hommes n’aiment pas à trouver dans une femme, mais qui, pour certains autres, sont l’indice d’une chasteté de sensitive et de passions fières. Aussitôt que Lambert aperçut mademoiselle de Villenoix, il devina l’ange sous cette forme. Les riches facultés de son âme, sa pente vers l’extase, tout en lui se résolut alors par un amour sans bornes, par le premier amour du jeune homme, passion déjà si vigoureuse chez les autres, mais que la vivace ardeur de ses sens, la nature de ses idées et son genre de vie durent porter à une puissance incalculable. Cette passion fut un abîme où le malheureux jeta tout, abîme où la pensée s’effraie de descendre, puisque la sienne, si flexible et si forte, s’y perdit. Là tout est mystère, car tout se passa dans ce monde moral, clos pour la plupart des hommes, et dont les lois lui furent peut-être révélées pour son malheur. Lorsque le hasard me mit en relation avec son oncle, le bonhomme m’introduisit dans la chambre habitée à cette époque par Lambert. Je voulais y chercher quelques traces de ses œuvres, s’il en avait laissé. Là, parmi des papiers dont le désordre était respecté par ce vieillard avec cet exquis sentiment des douleurs qui distingue les vieilles gens, je trouvai plusieurs lettres trop illisibles pour avoir été remises à mademoiselle de Villenoix. La connaissance que je possédais de l’écriture de Lambert me permit, à l’aide du temps, de déchiffrer les hiéroglyphes de cette sténographie créée par l’impatience et par la frénésie de la passion. Emporté par ses sentiments, il écrivait sans s’apercevoir de l’imperfection des lignes trop lentes à formuler sa pensée. Il avait dû être obligé de recopier ses essais informes où souvent les lignes se confondaient ; mais peut-être aussi craignait-il de ne pas donner à ses idées des formes assez décevantes ; et, dans le commencement, s’y prenait-il à deux fois