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près du cerveau. Puis il reprit : De là procède un certain ensemble d’actes qui compose l’existence sociale. À l’homme de Nerf, l’Action ou la force ; à l’homme de Cerveau, le Génie ; à l’homme de Cœur, la foi. Mais, ajouta-t-il tristement, à la Foi, les Nuées du Sanctuaire ; à l’Ange seul, la Clarté. Donc, suivant ses propres définitions, Lambert fut tout cœur et tout cerveau.

Pour moi, la vie de son intelligence s’est scindée en trois phases.

Soumis, dès l’enfance, à une précoce activité, due sans doute a quelque maladie ou à quelque perfection de ses organes ; dès l’enfance, ses forces se résumèrent par le jeu de ses sens intérieurs et par une surabondante production de fluide nerveux. Homme d’idées, il lui fallut étancher la soif de son cerveau qui voulait s’assimiler toutes les idées. De là, ses lectures ; et, de ses lectures, ses réflexions qui lui donnèrent le pouvoir de réduire les choses à leur plus simple expression, de les absorber en lui-même pour les y étudier dans leur essence. Les bénéfices de cette magnifique période, accomplie chez les autres hommes après de longues études seulement, échurent donc à Lambert pendant son enfance corporelle ; enfance heureuse, enfance colorée par les studieuses félicités du poète. Le terme où arrivent la plupart des cerveaux fut le point d’où le sien devait partir un jour à la recherche de quelques nouveaux mondes d’intelligence. Là, sans le savoir encore, il s’était créé la vie la plus exigeante et, de toutes, la plus avidement insatiable. Pour exister, ne lui fallait-il pas jeter sans cesse une pâture à l’abîme qu’il avait ouvert en lui ? Semblable à certains êtres des régions mondaines, ne pouvait-il périr faute d’aliments pour d’excessifs appétits trompés ? N’était-ce pas la débauche importée dans l’âme, et qui devait la faire arriver, comme les corps saturés d’alcool, à quelque combustion instantanée ? Cette première phase cérébrale me fut inconnue ; aujourd’hui seulement, je puis m’en expliquer ainsi les prodigieuses fructifications et les effets. Lambert avait alors treize ans.

Je fus assez heureux pour assister aux premiers jours du second âge. Lambert, et cela le sauva peut-être, y tomba dans toutes les misères de la vie collégiale, et y dépensa la surabondance de ses pensées. Après avoir passé des choses à leur expression pure, des mots à leur substance idéale, de cette substance à des principes ; après avoir tout abstrait, il aspirait, pour vivre, à d’autres créations intellectuelles. Dompté par les malheurs du collége et par les