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nouveauté de la pensée autant que celle de la forme. Tout ce qui ne remplissait pas ces conditions lui causait un profond dégoût. L’une de ses appréciations littéraires les plus remarquables, et qui fera comprendre le sens de toutes les autres aussi bien que la lucidité de ses jugements, est celle-ci, qui m’est restée dans la mémoire : « L’Apocalypse est une extase écrite. » Il considérait la Bible comme une portion de l’histoire traditionnelle des peuples anté-diluviens, qui s’était partagée l’humanité nouvelle. Pour lui, la mythologie des Grecs tenait à la fois de la Bible hébraïque et des Livres sacrés de l’Inde, que cette nation amoureuse de grâce avait traduits à sa manière.

— Il est impossible, disait-il, de révoquer en doute la priorité des Écritures asiatiques sur nos Écritures saintes. Pour qui sait reconnaître avec bonne foi ce point historique, le monde s’élargit étrangement. N’est-ce pas sur le plateau de l’Asie que se sont réfugiés les quelques hommes qui ont pu survivre à la catastrophe subie par notre globe, si toutefois les hommes existaient avant ce renversement ou ce choc : question grave dont la solution est écrite au fond des mers. L’anthropogonie de la Bible n’est donc que la généalogie d’un essaim sorti de la ruche humaine qui se suspendit aux flancs montagneux du Thibet, entre les sommets de l’Himalaya et ceux du Caucase. Le caractère des idées premières de la horde que son législateur nomma le peuple de Dieu, sans doute pour lui donner de l’unité, peut-être aussi pour lui faire conserver ses propres lois et son système de gouvernement, car les livres de Moïse sont un code religieux, politique et civil ; ce caractère est marqué au coin de la terreur : la convulsion du globe est interprétée comme une vengeance d’en haut par des pensées gigantesques. Enfin, ne goûtant aucune des douceurs que trouve un peuple assis dans une terre patriarcale, les malheurs de cette peuplade en voyage ne lui ont dicté que des poésies sombres, majestueuses et sanglantes. Au contraire, le spectacle des promptes réparations de la terre, les effets prodigieux du soleil dont les premiers témoins furent les Hindous, leur ont inspiré les riantes conceptions de l’amour heureux, le culte du feu, les personnifications infinies de la reproduction. Ces magnifiques images manquent à l’œuvre des Hébreux. Un constant besoin de conservation, à travers les dangers et les pays parcourus jusqu’au lieu du repos, engendra le sentiment exclusif de ce peuple, et sa haine contre les autres na-