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monde, n’est si douloureuse que par l’effet de la loi en vertu de laquelle le poids d’un corps est multiplié par sa vitesse. La pesanteur du sentiment que produit l’attente ne s’accroît-elle point par une addition constante des souffrances passées, à la douleur du moment ? Enfin, à quoi, si ce n’est à une substance électrique, peut-on attribuer la magie par laquelle la Volonté s’intronise si majestueusement dans les regards pour foudroyer les obstacles aux commandements du génie, éclate dans la voix, ou filtre, malgré l’hypocrisie, au travers de l’enveloppe humaine ? Le courant de ce roi des fluides qui, suivant la haute pression de la Pensée ou du Sentiment, s’épanche à flots ou s’amoindrit et s’effile, puis s’amasse pour jaillir en éclairs, est l’occulte ministre auquel sont dus soit les efforts ou funestes ou bienfaisants des arts et des passions, soit les intonations de la voix, rude, suave, terrible, lascive, horripilante, séductrice tour à tour, et qui vibre dans le cœur, dans les entrailles ou dans la cervelle au gré de nos vouloirs ; soit tous les prestiges du toucher, d’où procèdent les transfusions mentales de tant d’artistes de qui les mains créatrices savent, après mille études passionnées, évoquer la nature ; soit enfin les dégradations infinies de l’œil, depuis son atone inertie jusqu’à ses projections de lueurs les plus effrayantes. À ce système Dieu ne perd aucun de ses droits. La Pensée matérielle m’en a raconté de nouvelles grandeurs !

Après l’avoir entendu parlant ainsi, après avoir reçu dans l’âme son regard comme une lumière, il était difficile de ne pas être ébloui par sa conviction, entraîné par ses raisonnements. Aussi LA PENSÉE m’apparaissait-elle comme une puissance toute physique, accompagnée de ses incommensurables générations. Elle était une nouvelle Humanité sous une autre forme. Ce simple aperçu des lois que Lambert prétendait être la formule de notre intelligence doit suffire pour faire imaginer l’activité prodigieuse avec laquelle son âme se dévorait elle-même. Louis avait cherché des preuves à ses principes dans l’histoire des grands hommes dont l’existence, mise à jour par les biographes, fournit des particularités curieuses sur les actes de leur entendement. Sa mémoire lui ayant permis de se rappeler les faits qui pouvaient servir de développement à ses assertions, il les avait annexés à chacun des chapitres auxquels ils servaient de démonstration, en sorte que plusieurs de ses maximes en acquéraient une certitude presque mathématique. Les œuvres de Cardan, homme doué d’une singulière puissance de vision, lui