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de sentiment, toutes les délicatesses d’âme qui rendent la vie et si bonne et si douce à porter.

Il commença le lendemain même un ouvrage qu’il intitula Traité de la volonté ; ses réflexions en modifièrent souvent le plan et la méthode ; mais l’événement de cette journée solennelle en fut certes le germe, comme la sensation électrique toujours ressentie par Mesmer à l’approche d’un valet fut l’origine de ses découvertes en magnétisme, science jadis cachée au fond des mystères d’Isis, de Delphes, dans l’antre de Trophonius, et retrouvée par cet homme prodigieux à deux pas de Lavater, le précurseur de Gall. Éclairées par cette soudaine clarté, les idées de Lambert prirent des proportions plus étendues ; il démêla dans ses acquisitions des vérités éparses, et les rassembla ; puis, comme un fondeur, il coula son groupe. Après six mois d’une application soutenue, les travaux de Lambert excitèrent la curiosité de nos camarades et furent l’objet de quelques plaisanteries cruelles qui devaient avoir une funeste issue. Un jour, l’un de nos persécuteurs, qui voulut absolument voir nos manuscrits, ameuta quelques-uns de nos tyrans, et vint s’emparer violemment d’une cassette où était déposé ce trésor que Lambert et moi nous défendîmes avec un courage inouï. La boîte était fermée, il fut impossible à nos agresseurs de l’ouvrir ; mais ils essayèrent de la briser dans le combat, noire méchanceté qui nous fit jeter les hauts cris. Quelques camarades, animés d’un esprit de justice ou frappés de notre résistance héroïque, conseillaient de nous laisser tranquilles en nous accablant d’une insolente pitié. Soudain, attiré par le bruit de la bataille, le père Haugoult intervint brusquement, et s’enquit de la dispute. Nos adversaires nous avaient distraits de nos pensum, le Régent venait défendre ses esclaves. Pour s’excuser, les assaillants révélèrent l’existence des manuscrits. Le terrible Haugoult nous ordonna de lui remettre la cassette : si nous résistions, il pouvait la faire briser ; Lambert lui en livra la clef, le Régent prit les papiers, les feuilleta ; puis il nous dit en les confisquant : — Voilà donc les bêtises pour lesquelles vous négligez vos devoirs ! De grosses larmes tombèrent des yeux de Lambert, arrachées autant par la conscience de sa supériorité morale offensée que par l’insulte gratuite et la trahison qui nous accablaient. Nous lançâmes à nos accusateurs un regard de reproche : ne nous avaient-ils pas vendus à l’ennemi commun ? s’ils pouvaient, suivant le Droit Écolier, nous battre, ne devaient-ils pas garder le silence sur nos fautes ? Aussi eurent-ils