Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/101

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quente interrogation les monuments de nos sciences et les superfétations humaines, à la construction desquelles les sociétés employaient les éléments du monde terrestre. Il demandait si nos guerres, si nos malheurs, si nos dépravations empêchaient le grand mouvement imprimé par Dieu à tous les mondes ? Il faisait rire de l’impuissance humaine en montrant nos efforts effacés partout. Il évoquait les mânes de Tyr, de Carthage, de Babylone ; il ordonnait à Babel, à Jérusalem de comparaître ; il y cherchait, sans les trouver, les sillons éphémères de la charrue civilisatrice. L’humanité flottait sur le monde, comme un vaisseau dont le sillage disparaît sous le niveau paisible de l’Océan.

Telles étaient les idées fondamentales du discours prononcé par le docteur Sigier, idées qu’il enveloppa dans le langage mystique et le latin bizarre en usage à cette époque. Les Écritures dont il avait fait une étude particulière lui fournissaient les armes sous lesquelles il apparaissait à son siècle pour en presser la marche. Il couvrait comme d’un manteau sa hardiesse sous un grand savoir, et sa philosophie sous la sainteté de ses mœurs. En ce moment, après avoir mis son audience face à face avec Dieu, après avoir fait tenir le monde dans une pensée, et dévoilé presque la pensée du monde, il contempla l’assemblée silencieuse, palpitante, et interrogea l’étranger par un regard. Aiguillonné sans doute par la présence de cet être singulier, il ajouta ces paroles, dégagées ici de la latinité corrompue du moyen-âge.

— Où croyez-vous que l’homme puisse prendre ces vérités fécondes, si ce n’est au sein de Dieu même ? Que suis-je ? Le faible traducteur d’une seule ligne léguée par le plus puissant des apôtres, une seule ligne entre mille également brillantes de lumière. Avant nous tous, saint Paul avait dit : In Deo vivimus, movemur et sumus. (Nous vivons, nous sommes, nous marchons dans Dieu même.) Aujourd’hui, moins croyants et plus savants, ou moins instruits et plus incrédules, nous demanderions à l’apôtre, à quoi bon ce mouvement perpétuel ? Où va cette vie distribuée par zones ? Pourquoi cette intelligence qui commence par les perceptions confuses du marbre, et va, de sphère en sphère, jusqu’à l’homme, jusqu’à l’ange, jusqu’à Dieu ? Où est la source, où est la mer ? Si la vie, arrivée à Dieu à travers les mondes et les étoiles, à travers la matière et l’esprit, redescend vers un autre but ? Vous voudriez voir l’univers des deux côtés. Vous adoreriez le souverain, à con-