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geoises de Genève par la cuisine, qui menait à une petite salle à deux croisées, servant de parloir, de salon et de salle à manger. Le cabinet de travail où la pensée de Calvin se débattait avec les douleurs depuis quatorze ans venait ensuite, et la chambre à coucher y était contiguë. Quatre chaises en bois de chêne couvertes en tapisserie et placées autour d’une longue table carrée, composaient tout l’ameublement du parloir. Un poêle en faïence blanche, placé dans un des angles de cette pièce, y jetait une douce chaleur. Une boiserie de sapin naturel revêtait les murs, sans aucun décor. Ainsi la nudité des lieux était en harmonie avec la vie sobre et simple de ce réformateur.

— Eh ! bien, dit de Bèze en entrant et profitant du moment où Chaudieu les avait laissés seuls pour aller mettre les deux chevaux dans une auberge voisine, que dois-je faire ? Acceptez-vous le colloque ?

— Certes, dit Calvin. C’est vous, mon enfant, qui y combattrez. Soyez-y tranchant, absolu. Personne, ni la reine, ni les Guise, ni moi, nous ne voulons en faire sortir une pacification qui ne nous convient point. J’ai confiance en Duplessis-Mornay, il faudra lui donner le premier rôle. Nous sommes seuls, dit-il en jetant un regard de défiance dans sa cuisine, dont la porte était entr’ouverte et où séchaient étendues sur une corde deux chemises et quelques collerettes. Va fermer tout. — Eh ! bien, reprit-il, quand Théodore eut fermé les portes, il faut pousser le roi de Navarre à se joindre aux Guise et au connétable en lui conseillant d’abandonner la reine Catherine de Médicis. Ayons tous les bénéfices de la faiblesse de ce triste sire. S’il tourne casaque à l’Italienne, en se voyant dénuée de cet appui, elle se joindra nécessairement au prince de Condé, à Coligny. Peut-être cette manœuvre la compromettra-t-elle si bien, qu’elle nous restera…

Théodore de Bèze prit le pan de la robe de Calvin et la baisa : — Ô mon maître, dit-il, vous êtes grand !

— Je me meurs malheureusement, cher Théodore. Si je mourais sans te revoir, dit-il à voix basse et dans l’oreille de son ministre des affaires étrangères, songe à faire frapper un grand coup par un de nos martyrs !…

— Encore un Minard à tuer ?

— Mieux qu’un robin.

— Un roi ?